Ecce Mater tua

 

 

Voulant jusqu’à la fin rester ce que nous sommes,

Une loque de chair, le doux et bon Sauveur,

Jésus, homme, mourait comme meurent les hommes

            Dans l’affre et la sueur.

 

Il pendait lamentable au gibet d’infamie,

Disloqué sous le poids des péchés, distendu,

Criant : Eli ! D’en haut, pas une oreille amie

            Ne l’avait entendu.

 

Comme il avait aimé tous les siens en ce monde,

Le doux Sauveur Jésus les aima jusqu’au bout.

Il vit Jean, à genoux dans l’angoisse profonde,

            Et sa mère debout.

 

Et les réunissant dans un adieu suprême

L’un à l’autre, il légua, sans en être jaloux,

Le cœur qui l’avait fait, au cœur qu’il fit lui-même

            Humble, discret et doux.

 

À la femme, parmi toute autre préférée,

Il montra le disciple entre tous préféré ;

À celle qui de Dieu fut autrefois parée,

            Jean, de Jésus paré.

 

« Femme, voilà ton fils, et toi, voilà ta mère ! »

Quand il eut ainsi fait son legs sentimental,

L’éponge où s’imbibait le fiel fut moins amère

            À l’amant idéal.

 

Entre eux ayant uni, pour en eux se survivre,

La mère très aimable et l’ami très aimé,

Le Christ, dans l’abandon de l’Amour qui se livre,

            Dit : « Tout est consommé ! »

 

« J’ai donné la mesure, où n’atteindra nul homme,

De mon renoncement à l’égoïsme humain.

Je suis le voyageur isolé qu’on assomme

            Au détour du chemin.

 

« Mon amour fut si grand qu’il paraîtra chimère :

Je leur ai tout donné ; je meurs seul et transi.

Le plus malheureux garde au moins pour lui sa mère,

            Et je la donne aussi.

 

« Pour qu’ils soient plus aimés encor que je les aime,

Je leur donne ma mère, ainsi qu’il fut écrit. »

Et scellant d’un soupir son testament suprême,

            Jésus rendit l’esprit.

 

 

 

Edward MONTIER, Les Empires sans fin.

 

Recueilli dans Fleurs d’or en 1914.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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