Le poète chrétien

 

          AU XIXe SIÈCLE

 

 

                                       Dédié à Octave Ducros de Sixt.

 

 

                                             « Egregius psaltes Israel »

 

DIEU qui fit le soleil pour baigner de lumière

Ce globe, suspendu comme un grain de poussière

Dans les champs de l’espace où se perd l’œil humain,

Créa l’ange et lui dit : Va, fils de l’harmonie,

Chante aux échos des cieux ma puissance infinie :

Que la harpe à jamais frémisse sous ta main.

 

Mais il voulut aussi que la terre eût son ange :

Il lui mit dans les doigts le luth pour sa louange :

Des feux de son amour il embrasa son cœur.

Messager, lui dit-il, au monde qui m’oublie

Va, rappelle mes droits : Va, et partout publie,

Dans la langue des cieux, la gloire du Seigneur !

 

Cet ange de la terre, ah ! c’est le vrai poète,

Dont la lyre à vibrer, au moindre souffle est prête,

Et qui ne veut que Dieu pour thème à ses accents :

Dans son vol de géant, sur des ailes de flammes

Vers le ciel, comme un aigle, il emporte les âmes

Qu’animent les éclairs de ses regards perçants.

 

Sans cesse, à louer Dieu, conviant la nature,

Il fait monter l’encens de toute créature.

De son luth, qu’il balance ainsi qu’un encensoir,

Aux zéphyrs, aux autans, aux fleurs, aux flots, aux cimes,

Il prête des accords gracieux ou sublimes,

D’un cœur d’or et de feu, féerique miroir.

 

De Dieu, partout son œil cherche et trouve la trace :

Dans l’oiseau, qui d’un lac effleure la surface,

Dans la mer, qui des cieux reflète la splendeur,

Dans la fleur, qui d’un champ, diapre la verdure,

Dans l’arbre, qui sur l’homme enlace sa ramure,

Il voit, chante et bénit la main du Créateur.

 

Sa harpe aime à chanter les grandeurs de Marie,

Et sa main à poser sa corbeille fleurie

Sur l’autel où son cœur lui fit ses premiers vœux.

À ses pieds, il savoure un bonheur sans mélange,

Et, pour Elle, en transports, luttant même avec l’ange,

Il voudrait lui ravir et ses chants et ses feux.

 

Du doux pays natal, il nous dépeint les charmes,

Du foyer paternel, les beaux jours sans alarmes,

De son hameau lointain, les ébats innocents,

L’église aux murs noircis, à l’alpestre parure,

Et l’autel embaumé, qui de son âme pure

Vers le divin Captif vit les premiers élans.

 

Pour l’Église, à son tour, rêvant son épopée,

De sa lyre, au besoin, il ferait une épée.

Pour elle, il livrerait sa tête avec transport.

Il voit comme un soleil resplendir la tiare,

Aux nochers, sur les flots, la montrant comme un phare,

Qui seul, loin des écueils, peut guider au vrai port.

 

Au deuil de la patrie, il sait donner des larmes,

Couvrir de verts lauriers de triomphales armes,

Faire fleurir l’espoir aux cyprès d’un tombeau,

Mêler ses chants de gloire aux clameurs des batailles,

Ramener l’héroïsme au cri de : Représailles !

Et d’un peuple opprimé relever le drapeau.

 

Sans cesse balançant son aile radieuse,

Sur les fleurs des beaux-arts, abeille industrieuse,

Pour nous il sait dorer mille rayons de miel.

Si l’ange vit d’amour, lui vit de poésie :

Toujours, partout, il va cueillir cette ambroisie

Qui donne dans l’exil un avant-goût du ciel.

 

Lui, grandit ses accords quand la foule blasphème :

Au crime triomphant, il lance l’anathème,

Comme dans son lyrisme, il berce la vertu :

Du jour des grands périls, il fait son jour de fête :

Plus sévit l’ouragan, plus il dresse la tête :

Il peut être blessé, mais jamais abattu.

 

Pour tous, il n’a jamais qu’une même balance :

Du vice et de l’erreur, il combat la jactance :

Partout, du vrai mérite il exalte les droits.

Sa main, des cœurs meurtris sait panser les blessures,

Clouer au pilori toutes les forfaitures,

Et nous montrer à tous le salut dans la croix.

 

Du monde qu’il enchante, il habite les cimes :

La terre est un réseau pour ses ailes sublimes ;

Comme à l’aigle, il lui faut l’immensité des airs.

Sur les plus hauts sommets, le Sina, le Calvaire,

Sous un soleil sans ombre, il va percher son aire,

Pour lancer de plus haut et plus loin ses éclairs.

 

Près du berceau d’un Dieu, son cœur fond en délices ;

Du sang qui sauva l’homme adorant les prémices,

Il baigne de ses pleurs le sol de Bethléem.

Du nectar des Élus il s’enivre à la Cène,

De Véronique en pleurs, renouvelant la scène,

Il baise mille croix d’autres Jérusalem.

 

À l’Apôtre, il voudrait pouvoir donner des ailes,

Partout, du saint amour, jeter les étincelles,

Étouffer le blasphème au bruit de ses concerts :

Il voudrait dans son sang, expiant tant d’outrages,

Des vrais soldats du Christ raviver le courage,

Des captifs de Satan, rompre à jamais les fers.

 

Ange exterminateur, il voudrait...... Mais que dis-je ?

Oh ! Ce n’est pas assez d’admirer ce prodige :

Tout chef-d’œuvre divin doit nous voir à genoux.

Heureux qui d’un tel luth reçut le sacerdoce !

Que de nains, de nos jours, domine ce colosse !

Gloire à qui l’on peut dire..... Et cet ange, c’est Vous !

 

 

 

R. P. Pierre MONTAGOUX.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 

 

 

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