Le rêve

 

 

Que le cœur d’un pays, ô France,

Se trouble vite sans la foi !

– La veille de sa délivrance,

Le roi de Bourge était-il roi ?

 

Le bras qui portait la victoire,

Par qui serait-il délié ?

La vertu, l’honneur, – son histoire, –

Le peuple avait tout oublié.

 

À quoi bon, quand l’âme est flétrie,

Tenter des efforts superflus ?

Croire en Dieu, croire en la patrie,

C’était folie, il n’osait plus.

 

Il n’osait plus ! – Forte et sereine,

Le regard d’éclairs embrasé,

Au seuil des marches de Lorraine,

Une fillette avait osé.

 

Elle interrogeait les étoiles

À l’heure où s’endorment les nids,

Et devant l’horizon sans voiles

Faisait des rêves infinis.

 

Et, dans son extase pieuse,

À travers les prés, l’humble enfant

Voyait passer, toute joyeuse,

Le roi de France triomphant.

 

Vision consolante et chère,

Chassant l’ombre comme un flambeau !

– Ce roi qui passait, ô bergère,

C’était la France et son drapeau !

 

Et la grande force invisible

Changeant les vaincus en vainqueurs,

C’était la patrie invincible

Dans l’union de tous les cœurs.

 

Ô foi, qui vers la croix attires

Les âmes faites pour l’amour,

Toi qui soutiens dans les martyres

En montrant l’aube d’un beau jour,

 

C’est par toi, divine puissance,

Qu’une enfant lutta sans faiblir,

Et que l’œuvre de renaissance,

Vivante enfin, put s’accomplir.

 

Comme autrefois, la France encore

Porte la cicatrice au front ;

Elle attend la nouvelle aurore

Qui doit effacer son affront.

 

Mais le sang qui coule en nos veines

Est-il moins noble qu’autrefois,

Ou, pareils à des ombres vaines,

Les aïeux n’ont-ils plus de voix ?

 

L’union des cœurs n’est pas faite.

Le peuple, hélas ! regarde en bas :

Croire en Dieu, relever la tête,

Il n’ose pas ; – il n’ose pas !

 

Un doute égoïste et vulgaire

Captive et courbe sa raison,

Et cependant il voit la guerre

Se dresser, sombre, à l’horizon...

 

Croyons et travaillons sans trêve !

Alors que tout semble endormi,

Refaisons chacun le grand rêve

De Jeanne d’Arc à Domrémy.

 

 

 

Emmanuel de MONTCORIN.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

 

 

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