La vertu
Quand Dieu dans son œuvre sereine
Fit le jardin délicieux,
La vertu, toute souveraine,
Levait au ciel son front joyeux.
Et l’homme, alors simple et fidèle
Dans sa mâle et chaste beauté,
Heureux de marcher auprès d’elle,
Puisait la force à son côté.
Un jour qu’elle était endormie,
– Sommeil fatal au genre humain ! –
Laissant là sa divine amie,
Libre, il poursuivit son chemin.
Soudain, la nuit, comme un mystère,
Enveloppa les prés en fleurs ;
Le Paradis devint la terre,
La terre des maux et des pleurs.
Adieu les bois bénis où chante
La source pure aux flots d’argent !
Bientôt la nature exigeante
Rendit l’homme dur et méchant.
Et tu tombas inanimée,
Vertu, sainte fille de Dieu,
Toi, la compagne bien-aimée
Qui souriais sous le ciel bleu.
Quand il te vit pâle et glacée
Comme une morte en son linceul,
Songeant à sa gloire passée,
L’homme comprit qu’il était seul.
Plus de flamme sous ta paupière,
Plus de lèvres au teint vermeil !
On aurait dit, vierge de pierre,
Que tu dormais du grand sommeil....
Tout à coup le pâtre s’arrête,
Interdit, et tombe à genoux ;
Il a vu briller sur sa tête
Une étoile aux rayons plus doux.
Les nids tressaillent d’espérance,
Et bientôt le monde étonné
Vient saluer sa délivrance
Dans le berceau d’un nouveau-né.
Le Christ apparaît ; il t’appelle.
Tout vibre à son souffle enflammé ;
Tu te relèves, fière et belle,
Car c’est la voix du Bien-aimé.
Et, depuis le divin martyre,
Levant ton regard vers les cieux,
Ô vertu, tu sembles sourire
Avec des larmes dans les yeux !
Emmanuel de MONTCORIN.
Paru dans L’Année des poètes en 1890.