La Sainte-Baume

 

Dieu ! quel tableau ! qu’il est vaste et sublime !

De mon œil enchanté rien ne borne l’essor :

            Ici la mer n’a point de bord ;

Là, ces monts entassés me dérobent leur cime.

Ramenons mes regards, quels sites j’aperçois !

Quelle main a creusé ces abîmes terribles 1 !

            Mille objets viennent à la fois

M’effrayer, me charmer de leurs beautés horribles.

            Voyez ces arbres attachés

Aux fentes de ce mont tout noir de cicatrices ;

Et plus bas ces vieux rocs par la foudre arrachés,

            Jonchant le fond des précipices !

Pour changer de plaisir, je détourne les yeux ;

Je fixe avec respect ce bois religieux 2

Dont la feuille protège une plaine fleurie,

            Et qui, sous un riant berceau,

            Me laisse entrevoir un ruisseau

            Caressant la jeune prairie.

Ces pins audacieux que la mousse a couverts,

            Naquirent avec l’univers :

            Eux seuls ont pu rendre inutile

      Le feu du ciel et l’effort des autans ;

            Ils ont lassé la faux du temps :

Vingt États ont croulé.... leur trône est immobile.

            C’est ici, c’est dans ce séjour

            Qu’une fameuse pécheresse

Punit de ses erreurs le scandale et l’ivresse ;

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

 

      Tout répéta dans ce désert immense

Les soupirs de son cœur de repentir brisé ;

            Chaque rocher fut arrosé

            Des larmes de sa pénitence.

            Va ces soupirs sont entendus,

            Ta douleur ne sera pas vaine ;

      Aux yeux du ciel, heureuse Magdeleine !

Tes remords valent mieux que toutes nos vertus.

      Des potentats entourés de leur gloire 3

Dans ta grotte ont porté le faste des grandeurs ;

Mais tu fus sur la roche, humide de tes pleurs,

Plus grande que ces rois sur leur char de victoire.

            De l’odeur de ta sainteté

            Tu remplis ce désert sauvage.

Le mondain qui le voit est surpris d’être sage

Et d’aimer les rigueurs de ton austérité,

Dieu ! quel charme inconnu ! quelle sérénité !

Des viles passions ici le règne expire,

Leur souffle empoisonné n’infecte point ces lieux ;

Ici, le cœur est pur comme l’air qu’on respire.

On y sent l’avant-goût des voluptés des cieux.

      Heureuse l’âme à prier assidue,

Qui, loin des faux attraits d’un monde corrompu,

Vient dans cette retraite assurer sa vertu,

      Ou la pleurer après l’avoir perdue.

 

 

 

Hyacinthe MOREL.

 

Recueilli dans

Choix de poésies morales

et religieuses, 1837.

 

 

 

1. Au-dessous de Saint-Pilon, du côté du nord.

2. La Sainte-Baume est située au nord de Toulon.

3. Plusieurs princes, notamment Louis XIV, qui visita la Sainte-Baume avec une partie de sa cour au mois de février 1660.

 

 

 

 

 

 

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