Le printemps aux bois
À mon ami L.-D. Dion.
J’ai vu sur une hirondelle,
Messagère du beau temps,
Une fée, en sentinelle,
Guetter l’aurore du printemps.
A. de Châtillon
Par un soleil de mai, que les brises sont douces
À tous les fronts lassés qui recherchent les bois !
Qu’il fait bon de s’asseoir un instant sur les mousses,
Pour rêver d’autrefois.
Tout parle à notre cœur. Le silence lui-même
A son muet langage et son apaisement ;
Il nous reporte au loin, vers les sentiers qu’on aime
À fouler lentement.
On dirait qu’en ces jours la nature embellie
Sourit à nos douleurs sous son grand manteau vert ;
Et qu’en ce renouveau notre pauvre âme oublie
Tout ce qu’elle a souffert.
Car tout nous dit de vivre : et la feuille qui s’ouvre
Sous les baisers ardents d’un soleil plein de feu ;
La sève qui surgit, la fleur qui se découvre
Sous l’œil content de Dieu.
On sent dans ce travail qu’un génie invisible
Coordonne et conduit la grande éclosion ;
Et que tout obéit au souffle irrésistible
D’une création.
Le rossignol plaintif déroule dans les cimes
Des chants mélodieux qui nous font palpiter.
L’écho, qui jette au loin ses trémolos sublimes,
Nous invite à chanter.
Le galant oiseau-rouge, en frémissant de l’aile,
Regarde avec amour celle qu’il doit charmer ;
Dans la tendre chanson qu’il soupire pour elle,
Sa voix nous dit d’aimer.
L’air est lourd de parfums. L’arome résineux
Qui s’exhale des pins et du genévrier
Monte comme un encens vers la voûte des cieux,
Et nous dit de prier !
Sur le feuillage mort, des légions bruyantes
De mouches, de fourmis, de papillons charmants,
Font jouer au soleil leurs antennes brillantes
Comme des diamants.
Oiseaux, grillons, échos, murmures, harmonies,
Orchestre aux mille voix, qui prélude et s’en va !
Vous chantez au printemps les grandes symphonies
De l’hymne à Jéhovah !
Grands arbres qui perdez, au souffle des automnes,
Vos panaches flottants !
Le Ciel nous rendra-t-il, comme à vous, nos couronnes
À l’éternel printemps ?
Pauvres petits oiseaux que le froid expatrie,
Mais que ramène avril !
Pourrons-nous retrouver, nous aussi, la Patrie
À la fin de l’exil ?
Il est passé pour moi, le printemps de la vie !
Et sa douce chaleur, depuis longtemps ravie,
N’est plus qu’un souvenir !
Mais quand après l’hiver la nature s’éveille,
Et qu’aux matins de mai la forêt s’ensoleille,
Je me sens rajeunir.
Ces jours riches et pleins, déversant leur pléthore
Sur les bourgeons gonflés de rosée et d’aurore,
Désireux de verdir,
Font, comme un chaud rayon, pénétrer dans mes veines
Le fluide subtil des fécondes haleines,
Qui font tout refleurir.
Que de bonheurs perdus ! hommes au cœur sans sève,
Qui n’aimez pas les bois, les champs, les mers, la grève,
Ces grands temples de Dieu !
Car le blanc sanctuaire où va prier notre âme,
En face de la lampe à l’indécise flamme,
Est seul un plus saint lieu !
Et, voyageur trempé des sueurs de la route,
J’ai trouvé dans les bois le repos que l’on goûte
Auprès d’un frais ruisseau.
J’ai rafraîchi ma lèvre à ces ondes si douces,
Et j’ai repris courage en marchant sur les mousses
Avec mon lourd fardeau !
Beaux jours de la jeunesse,
Coupe pleine d’ivresse,
Votre chère caresse
Ne dure pas longtemps !
Mais quand vient l’hirondelle,
On croit voir sur son aile
Voltiger nos printemps !
Alfred MORISSET,
Ce qu’il a chanté,
Hommage pieux de ses enfants,
Ottawa, 1914.