La richesse ici-bas
La richesse, ici-bas, ce n’est pas d’être riche,
Ce n’est pas d’entasser, d’avoir de l’or en niche
Comme les Harpagons.
C’est de se sentir vivre en son intelligence,
Et de faire servir même son indigence
À des actes féconds.
La richesse, ici-bas, c’est l’illusion chère
Qui berça sur ses flots la nacelle légère
De nos rêves d’enfants ;
C’est l’écho prolongé des pures symphonies
Que chantaient tour à tour d’invisibles génies
Dans nos cœurs triomphants.
La richesse, ici-bas, ce sont les souvenances
Qui viennent parfumer de leurs douces essences,
Les sentiers des jours mûrs ;
Ce sont les abandons de ces heures exquises,
Où l’âme confiante aspire dans les brises
Des enivrements purs.
La richesse, ici-bas, c’est un modeste asile
Où l’homme en travaillant vit heureux et tranquille,
Loin des reflets de l’or ;
Et non pas le grand train des pompeux équipages,
Ni les salons dorés, ni les brillants mirages
Des châteaux de portor.
La richesse, ici-bas, c’est une épouse tendre,
Marchant près de l’époux, heureuse de lui tendre
Sa main pour l’appuyer ;
C’est un cœur en un cœur, une âme dans une âme,
Puisant la même joie et le même dictame
Dans un même foyer.
La richesse, ici-bas, c’est la joie ineffable
Qu’un père aimant éprouve en voyant à sa table
Ses enfants réunis ;
C’est de ses cheveux blancs la plus belle couronne :
Et ce gage d’amour, c’est le ciel qui le donne
Aux ménages bénis.
La richesse, ici-bas, c’est l’immense héritage,
Qu’un honnête homme laisse à ses fils en partage
Dans un nom respecté ;
Trésor impérissable à l’abri du naufrage,
Que les vents du malheur et les coups de l’orage
N’ont jamais emporté.
La richesse, ici-bas, c’est de pouvoir sans crainte
Marcher la tête haute et porter sans contrainte
Un front pur en tous lieux ;
Sans jamais qu’un des siens nous jette à la figure
Le nom de renégat, de traître ou de parjure
Au sang de ses aïeux.
La richesse, ici-bas, c’est la noble Patrie
Qu’on respecte et qu’on aime avec idolâtrie,
Comme un objet sacré ;
Ce sont ses libertés, ses grands hommes, sa gloire,
Resplendissants joyaux qui parent son histoire
Et son nom vénéré.
La richesse, ici-bas, c’est la sainte croyance
Aux dogmes que Jésus dans son omniscience
Proclame et nous prescrit ;
C’est l’abnégation, c’est l’oubli de soi-même,
C’est l’amour de la Croix, le consolant emblème
Des vrais enfants du Christ.
Alfred MORISSET,
Ce qu’il a chanté,
Hommage pieux de ses enfants,
Ottawa, 1914.