Mea culpa

 

 

Le jour meurt dans la rosace ;

Un silence solennel

Sacre la nef et l’autel

À tout porteur de besace

Lourde d’un faix criminel.

Là-bas un pécheur s’incline,

Il se frappe la poitrine

Au pied du confessionnal,

Tandis que l’ange du mal

Râle au creux de la gargouille

D’un rire qui crache et souille

La conscience aux abois.

Mea culpa, dit la voix.

Et plus loin, dans l’arceau d’ombre

Le dieu cloué sur la croix

Entend cette âme qui sombre

D’avoir méconnu ses lois.

 

Le pécheur, tout bas, murmure :

– Mon Père, je suis méchant ;

Mon esprit n’est qu’imposture,

Ma bouche ignore le chant,

Ma langue est prompte au parjure,

Je n’ai convoité qu’argent,

J’ai volé d’autrui la femme,

J’ai senti la joie infâme

De ces bonheurs interdits

Que le prophète a maudits

De son verbe ivre de flamme.

– Mon fils, as-tu repentir ?

– Oui, je suis prêt à pâtir,

Dis ce qu’il faut que je fasse.

– Regarde la Sainte-Face

De ce dieu là-bas cloué

Et par mains et pieds troué.

Il a pris sur soi tes fautes,

Lui seul peut te pardonner,

Faire ton cœur rayonner

Vers des régions plus hautes.

 

– Si j’ai tant péché, mon Père,

C’est qu’un flot puissant battait

Au tissu de mon artère.

Ce qu’un autre cache ou tait,

Je l’avouai sans mystère.

Sous un ciel strié d’éclairs,

Le sang m’emportait fébrile

Au fond des gouffres amers,

Navire errant d’île en île.

J’ai conquis un continent,

Couvert de vastes emblaves

Et du Levant au Ponant

Peuplé de milliers d’esclaves

Les terres m’appartenant.

J’ai multiplié la vie

En moi comme autour de moi.

Qu’importe qu’inassouvie

Mon âme ait enfreint la loi ?

Jésus souleva le monde

En la franchissant aussi.

Quiconque transforme ou fonde

De la loi n’a point souci.

 

– Mon fils, ton audace est grande

De te comparer à Lui.

Ton cœur ergote et marchande

Au lieu de quérir appui.

Est-ce là ta repentance,

Rhéteur cynique et pervers ?

Te crois-tu, sotte jactance,

Le centre de l’univers ?

– Je le sais, je ne suis qu’homme,

Mais Thomas le Radieux

N’a-t-il pas dit dans sa Somme :

« Vous serez comme des dieux » ?

Ce que vous nommez le crime

Fomente un plus haut destin

Et l’instinct que l’on réprime

Est un flambeau qu’on éteint.

Docile à ton homélie

Si je cède et m’humilie,

Si je courbe au sol mon front,

N’est-ce au dieu faire un affront ?

– Quelle est cette ruse infâme ?

Va, misérable, va-t’en

Commercer avec Satan,

Qui reconnaîtra ton âme.

L’on ne mérite pardon

Que par entier abandon. –

 

Lors le pécheur se redresse ;

Dans l’ombre il voit au pilier,

Là-bas, le dieu de détresse

Qu’il se voulait rallier.

Par le vitrail, flèche blonde,

Un rai solaire a touché

Le chef du Sauveur du monde,

Douloureusement penché.

Ô couronne de lumière,

Parfum du ciel en sa fleur,

Intelligence plénière,

Ô fontaine de chaleur !

Sait-il pas que le tumulte

Est frère de l’action,

Et que l’homme inerte insulte

À son Incarnation ?

Car il a vomi les tièdes,

Le divin Passionné,

Ses exemples, ses remèdes

Veulent un cœur effréné.

Dans sa sereine balance

Il a pesé nos forfaits.

Du Juste par excellence

L’on n’attend que des bienfaits.

Un immense espoir pénètre

Le cœur du pécheur surpris ;

Moins sévère que son prêtre,

Jésus l’aura-t-il compris ?

 

Dans la lueur irisée,

Caressant le pilori,

La Sainte-Face épuisée,

Ô miracle, lui sourit.

 

 

Alfred MORTIER.

 

Paru dans le Mercure de France

en décembre 1934.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net