La plainte de l’émigré français

 

 

Sous l’arbre vert d’amour je suis enfin assis,

Où nous nous reposâmes, gais, ma tendre aimée,

Par un matin tout brillant, dans l’heureux jadis,

Quand tu fus pour toujours ma chère fiancée.

 

Le blé poussait alors partout, si vert, si beau !

L’alouette chantait, la brise était sereine,

Le teint vermeil était sur tes lèvres, agneau,

La flamme de l’amour dans ton bel œil sans peine.

 

La place est peu changée, ah ! je m’en émerveille !

La journée est tout aussi brillante qu’alors,

Le chant de l’alouette charme mon oreille,

Et le blé me semble encor vert et beau dehors.

 

Mais il me manque, hélas ! le toucher de tes mains,

Et ta bien douce et chaude haleine sur ma joue,

Et j’essaie en vain d’entendre les mots bénins

Que tu ne me diras plus, navré, je l’avoue.

 

Il n’est qu’un pas pour arriver à cette allée,

Et la petite église aimée est là tout près,

L’église où je devins ton gai mari, ma fée !

Je vois le vieux clocher entre les verts cyprès.

 

Mais le cimetière intervient, j’y veux mourir,

Et mon pas pourrait rompre ton sommeil, sans peine,

Car, ange ! je t’ai posée là pour dormir,

L’enfant sur ton sein, jusqu’au grand réveil, ma reine !

 

Je suis bien solitaire à présent dans ces lieux,

Car les pauvres n’ont pas d’amis, ou n’en ont guère,

Mais, oh ! ils aiment encor cent mille fois mieux

Ces seuls cœurs que nous a remis notre bon Père.

 

Et tu fus le seul bien que j’eus ici vivant,

Mon trésor, dont ma fierté fut toujours bien forte,

Ah ! rien ne m’est laissé pour aimer maintenant

Depuis que, Marie, ange! là tu tombas morte !

 

Ton cœur était le bon et brave cœur, Marie,

Qui malgré le malheur s’efforçait d’espérer,

Quand ma foi faillit en Dieu, l’âme était sans vie,

Et la force de mon jeune bras dut céder.

 

La consolation vint de tes lèvres bien roses,

Un doux sourire sur ton visage si beau ;

Je te bénis, mon ange, pour toutes ces choses,

Quoique tu n’entendes plus rien dans le tombeau.

 

Merci pour ce sourire, ô divine Marie,

Quand ton cœur dut subir l’impitoyable loi,

Quand le mal de la faim te rongeait là, chérie !

Et tu me le cachais, dans ton amour pour moi.

 

Je te bénis pour tes mots si tendres, ma vie,

Quand ton cœur navré fut si triste et tourmenté,

Je suis presque aise que tu sois morte, Marie,

Car la peine ne t’atteint plus, cher être aimé.

 

Je te dis un long adieu, mon ange adoré,

Douce étoile, qui me fus toujours si fidèle ;

Je ne t’oublierai jamais, être sacré,

Dans le pays où mon malheureux sort m’appelle.

 

On dit que l’ouvrage s’y trouve en abondance,

Et le soleil béni de Dieu luit toujours là,

Mais je n’oublierai jamais ma douce France,

Si ce sol était plus beau qu’il ne l’est déjà.

 

 

 

William MOTHERWELL.

 

Adapté par sir Tollemache Sinclair.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net