ESPÈRE !

 

 

                                           À Mademoiselle Céleste S... de M...

 

 

EH quoi ! pleurer ainsi, toi qui n’as pas vingt ans !

Passer les jours ensoleillés de ton printemps

              Dans une tristesse infinie !

Pleurer éperdument, voir en deuil les lilas,

Ne désirer plus rien des choses d’ici-bas,

              Hormis la mort, la mort bénie !

 

C’est donc pour ce destin que Dieu t’a fait fleurir ?

Ton sein – lys virginal – devra donc se flétrir

              Avant l’hymen, ô jeune fille ?

Tu veux mourir ! sais-tu, quand tu dis ces mots-là,

Que ta mère t’écoute, effarée, et qu’elle a

              Les yeux mouillés d’un pleur qui brille ?

 

Pourquoi te désoler ? Pourquoi ces pensers noirs ?

Ton âme est-elle en proie aux premiers désespoirs

              Pour l’abandon de tes amies ?

As-tu déjà souffert de l’idéal déçu ?

Comprendrais-tu déjà que ce monde est tissu

              De trahisons et d infamies ?

 

Peut-être as-tu senti passer en tes cheveux

Le souffle caressant de ces brûlants aveux

              Dont l’ivresse est toujours trop brève ;

Et, dès le lendemain, le lâche adolescent

Qui t’avait mis ainsi la fièvre dans le sang,

              A peut-être brisé ton rêve ?

 

Ayant perdu l’amour, qui donne tant d’essor,

Et forcée à lutter contre le mauvais sort

              Auquel le mieux armé succombe ;

Tu n’oses pas sans doute affronter l’avenir,

Et, craignant que ton mal ne doive point finir,

              Tu tends tes bras blancs vers la tombe.

 

Et ton cher piano, tu l’as donc délaissé ?

Beethoven et Mozart, ces amis du passé,

              Tu les fuis donc, ô virtuose ?...

Hélas ! quand tu reviens à ton art si divin,

Ce n’est que pour nourrir ton âme, de Chopin

              Qui te fait encor plus morose !

 

Pauvre enfant ! la souffrance, oh ! nous la connaissons !

Nous vîmes, nous aussi, nos rêves, nos chansons

              S’enfuir comme des coccinelles ;

Nous avons sangloté, gémi, voulu mourir...

Nos larmes cependant ont fini par tarir :

              Est-il des larmes éternelles ?

 

Allons ! sois forte, et laisse essuyer tes beaux yeux !

Tu verras que bientôt tu te sentiras mieux :

              La douleur même est éphémère...

Sois digne, et te remets à ton art ardemment !

Si l’on t’a fait souffrir, garde ton cœur aimant

              Pour le cœur de ta bonne mère !

 

Ne te reste-t-il pas le suprême trésor ?

N’as-tu pas le front ceint du diadème d’or

              De la jeunesse, cette reine ?

Ah ! lorsqu’on a vingt ans, on brave le trépas !

On marche à l’avenir, foulant tout sous ses pas,

              Superbe, invincible, sereine !

 

Rien ne vaut la jeunesse aux espoirs triomphants !

De quoi vous plaignez-vous, enviables enfants,

              Qui n’avez qu’à cueillir des roses ?

C’est quand le diadème est tombé de nos fronts

Qu’il est amer de vivre, et qu’en vain nous pleurons

              Au souvenir des avrils roses.

 

Toi, Céleste, ton ciel est encor calme et bleu !

Jeune et belle, tu n’as qu’à le vouloir un peu

              Pour rendre ton destin prospère.

Rassérène-toi donc ! Chasse ton gros chagrin,

Et souris-nous ! Les cœurs ne sont pas tous d’airain :

              Si tu veux être heureuse, espère !

 

Espère ! un jour viendra, tu t’épanouiras :

Quelque beau rêve d’or, descendu dans tes bras,

              Te fera frémir sous tes voiles ;

Tu chanteras alors du matin jusqu’au soir,

Et le printemps en fleur, qui te paraît si noir,

              Te semblera tout blanc d’étoiles !

 

 

 

                                                             Armand MOUSSET.

 

                                                  Castagneto, Pô (Italie), 1898.

 

                                               Paru dans La Sylphide en 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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