Vains désirs

 

 

Le vent chaud de l’été frôle de son haleine

Les étangs lumineux qui dorment dans la plaine,

Et fait chatoyer l’or des grands blés onduleux ;

Sans ombre, jusqu’au pied lointain des coteaux bleus,

La campagne frémit, étincelle et flamboie

Sous un ruissellement de lumière et de joie,

Et dans l’apothéose ardente des moissons

L’amour champêtre éclate en de folles chansons.

Hélas ! que me veut donc ce concert d’allégresse ?

Mystérieux espoir, langueur enchanteresse,

Souffles, parfums, frissons si troublants et si doux,

Je ne suis pas heureux. Pourquoi me raillez-vous ?

Ô spectacle enivrant de la nature en fête !

Tous les renoncements dont ma douleur est faite

S’exaspèrent devant ces magiques attraits.

Je voudrais secouer mon joug. Ah ! je voudrais

Semer au vent du ciel mes libres rêveries,

Écouter dans la paix des campagnes fleuries

Parler la solitude avec sa douce voix.

Caché dans la verdure épaisse des grands bois,

Je voudrais embrasser la terre maternelle,

Aspirer les parfums subtils qui sont en elle,

Et, dans l’exhalaison de son souffle puissant,

Ranimer la fierté de mon cœur languissant.

Confident recueilli de l’ombre et du mystère,

Je suivrais loin du monde un sentier solitaire

Où les rires grossiers ne m’attristeraient pas ;

J’irais dans la campagne en retenant mes pas

Comme un pâtre égaré dans un palais superbe ;

J’irais devant le chêne immense et le brin d’herbe

Incliner ma raison et prier humblement ;

Simple, tranquille, heureux de mon effacement,

Je rêverais, blotti parmi les roches grises ;

Et quand s’élèverait le murmure des brises

En qui passe un écho de magiques cités,

Quand, dans la profondeur des cieux illimités

Flotterait le regret des chimères lointaines,

J’irais en soupirant m’asseoir près des fontaines

Pour y mirer mon âme avec ses rêves morts.

Mon douloureux passé, tourmenté de remords,

Baisserait peu à peu sur sa face pâlie

Un voile de douceur et de mélancolie.

Puis enfin, délivré de mes tristes amours,

Je laisserais tomber dans le fleuve des jours

L’accablant souvenir des voluptés amères.

Détaché pour jamais des peines éphémères,

En tournant mes désirs vers des objets meilleurs,

Je saurais désormais qu’il faut chercher ailleurs

Le royaume promis à mon âme immortelle.

Et peut-être une voix de là-haut viendrait-elle

M’apporter, dans la paix des bois silencieux,

L’oubli des jours amers et le pardon des cieux !

 

 

 

L. MOUSTIER.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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