Larmes et regrets

 

                                          À MADEMOISELLE LÉONTINE B…

 

 

Des cieux le dôme est pur et parsemé d’étoiles,

L’ombre sur les côteaux a jeté ses longs voiles,

La nature se tait : tout sommeille en repos ;

Et moi, pour retrouver la pierre funéraire

         Où gît la cendre de ma mère,

J’erre seule et craintive au milieu des tombeaux.

 

L’astre des nuits se lève et sa clarté tremblante

Va guider en ces lieux ma marche chancelante.

Ma mère ! Ici tu dors dans ton lit de gazon,

Et la modeste croix de ta tombe ignorée

         Cache à ta famille éplorée

Que tu devais un jour lui donner un blason.

 

Un blason ! Eh qu’importe un titre de noblesse ?

Qu’importent les honneurs, qu’importe la richesse ?

Tu fus noble de cœur, c’est un titre plus beau.

C’est là pour moi, ma mère, une vive auréole

         Qui me conduit et me console,

C’est un éclat qui brille au-delà du tombeau.

 

Lorsque tu me quittas, j’étais bien jeune encore,

J’ai vu trop tôt, hélas, s’obscurcir mon aurore,

De mon printemps trop tôt, j’ai vu périr les fleurs :

J’avais douze ans à peine et tu me fus ravie,

         Ah ! Depuis lors dans cette vie,

Je n’ai plus rien trouvé que chagrins et douleurs.

 

Tu fus mon seul appui sur cette triste terre ;

Car jamais je n’ai vu le sourire d’un père,

Jamais ses doux baisers n’ont bercé mon sommeil ;

Dans mes rêves souvent quand mon âme voyage,

         D’un père je cherche l’image,

Mais je me vois toujours sans père à mon réveil.

 

Ta perte autour de nous a fait un vide immense,

Je pleure mon destin lorsque le jour commence

Et dans le champ des morts je vais traîner mon deuil.

Mes instants sont tissus de regrets et d’alarmes,

         Je passe mes nuits dans les larmes,

Et du tombeau déjà je crois toucher le seuil.

 

Le pauvre aussi te pleure, ct les fils des chaumières

Mêlent en sanglotant ton nom à leurs prières,

Pour le bénir, ô toi qui fus leur grand soutien.

La jeune mère, en proie aux chagrins du veuvage,

         En vain cherche dans le village

Un cœur aussi bien fait, aussi grand que le tien.

 

Oui, tous les malheureux réduits à la misère

Croyaient trouver en toi cet ange tutélaire

Qui fait luire l’espoir dans la calamité ;

Car toutes les vertus dont Dieu dote la femme

         Tu les possédais dans ton âme :

Bonté, tendresse, amour, douceur et charité.

 

Dors en paix maintenant dans ta couche glacée,

Ton image, ô ma mère, en mon cœur retracée

Ramènera ta fille, au soir, vers tes cyprès.

Mais que ton ombre alors auprès de moi s’éveille,

         Que ta voix parle à mon oreille,

Et qu’un baume céleste apaise mes regrets.

 

Ah ! Quel sublime amour brûle en ton âme sainte,

Enfant ! Le cœur ému j’ai recueilli ta plainte

Et mon œil sous les pleurs commence à se ternir.

Parfois vers ce tombeau plein d’ombre et de mystère,

         Je viendrai triste et solitaire,

Pour t’entendre prier, et... pour me souvenir.

 

      Ste CROIX, AVRIL 1861.

 

 

Adolphe MUNY, Chants et murmures, s. d.

 

 

 

 

 

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