Chanson pour endormir
mon âme
Ma pauvre âme, il faut nous dire,
– Vois : la jeune lune étire
Sa navette en haut du bourg ; –
Que te voilà seule... seule
Comme un bleuet sur l’éteule
À la veille du labour.
L’unique âme, au vrai, qui t’aime
Du matin de ton baptême,
Tu la fuis... ne dis pas non ;
Redoutant qu’elle surprenne,
Dans ton sourire, une peine,
Et dans ton silence, un nom.
Quand, de son rosaire ceinte,
Elle s’endort, chère sainte
Qu’éveillera l’angélus,
Toi, dans ta chambrette haute,
– Vois, la lune est à mi-côte... –
Tu suis tes rêves perdus.
D’abord tu fais ta prière,
Si c’est prier, ô misère !
Que d’adjurer le bon Dieu
Qu’il te rende, ah ! vite, vite,
Car le temps presse sa fuite...
Le cœur qui t’aima trop peu.
Ma pauvrette, peux-tu croire
Qu’à cette indigente histoire,
Ce Dieu soit plus attentif
Qu’au couler de la fontaine
Dont la vasque pleine, pleine
Dissipe un flot fugitif ?
L’amour... dangereuse envie
De mettre toute sa vie
Dans le creux chaud d’une main.
Ne sais-tu pas ce qu’il coûte ?
Aujourd’hui, tristesse et doute ;
Désespoir et deuil, demain.
Donc, n’y pensons plus, petite...
L’image aimée et maudite,
D’un seul coup, déchirons-la !
Et ne brûlons plus de cierge,
– La lune, d’un arbre, émerge... –
Pour qui notre cœur brûla.
Si dans la crypte nocturne
Médite un Dieu taciturne,
L’acte seul digne de Lui
C’est sans plainte, ah ! vaine, vaine...
De savoir porter sa peine
Et panser celle d’autrui.
Mais devant ce rude ouvrage
Ma pauvrette sans courage
Défaille au premier effort...
Et n’osant crier à l’aide,
Souhaite pour tout remède
Celui de la bonne mort.
Nul, pourtant, n’est juge et maître,
Aussi dolent qu’il puisse être,
D’en user sur son dessein ;
Et seul, à tous, le dispense,
Qu’on l’oublie ou qu’on y pense,
L’inflexible Médecin.
Nous, pour en attendre l’heure,
N’avons de cure meilleure
Et de plus sûr reposoir,
Que le somme où l’on enfonce,
– Le ciel, poudré d’or, se fonce, –
Aux mailles d’un hamac noir.
Viens-t’en dormir, ma petite...
Oh ! vois ! comme une pépite
Au crible obscur de ce ciel,
Une étoile glisse, glisse...
D’un vœu tu la fais complice,
Et je sais trop bien duquel.
Oui, deux bras ouverts dans l’ombre.
Un grand bonheur où l’on sombre
Jeté par un grand élan !
Las, pauvrette, seule.., et seule,
Il te faut tourner la meule
Des trois cents longs jours de l’an.
Voici le marchand de sable
Tout mal, même inguérissable,
Sous son vieil onguent, s’endort ;
Demandons-lui qu’il nous compte
– Vois, la lune monte, monte ! –
Deux sous de petite mort...
Amélie MURAT, Chants de Minuit,
Le Pigeonnier.