La mort

 

 

À mon amie Jeanne Bois.

 

 

Devais-je te revoir sous ces habits de deuil,

Pâle et pleurant le front penché vers le cercueil

                Où repose ta mère ?

Quand tu rêvais la joie, hélas ! c’est la douleur

Qui te vient.... Nul n’échappe aux serres du malheur,

Tout homme en fait un jour l’expérience amère.

 

Bien jeune, tu le sais, j’ai vu le doigt fatal

De l’inflexible mort se poser, froid, brutal,

                Sur des têtes chéries ;

Et ces fronts que le temps n’avait pas condamnés,

Ces fronts sans ride encor, tour à tour moissonnés

Emplirent mon esprit de sombres rêveries.

 

Ton amitié me fut un baume précieux !

Après tous mes parents dont s’éteignaient les yeux,

                Jeanne, toi seule au monde,

Savais rendre à mon cœur quelque lueur d’espoir.

Tu pleures aujourd’hui sous ce long crêpe noir,

Permets qu’à ta douleur ma voix aussi réponde.

 

Et ta main dans ma main, (comme en ces jours si doux

Où l’avenir semblait avoir des fleurs pour nous),

                Veux-tu, chère affligée,

Te pencher avec moi vers ce gouffre béant

Que Dieu mit sous les pas de l’homme en le créant,

Tu t’en relèveras peut-être soulagée.

 

Viens ! regardons de près la mort. C’est un soupir

Que nous jette en partant le bienheureux martyr

                Que Jéhovah fait ange.

C’est l’instant où l’esprit que rien ne retient plus

Quitte sans nul regret ce corps de maux perclus

Qui le souillait parfois d’une honteuse fange.

 

C’est l’heure où l’âme embrasse un nouvel horizon,

Où le faux et le vrai qui troublaient sa raison

                Dans la sphère du doute,

Apparaissent, l’un noir et père du forfait,

L’autre tout lumineux comme l’Être parfait

Qui peuple de soleils son dais, céleste voûte.

 

C’est l’éblouissement après l’obscurité,

L’infini succédant à ce temps limité

                Que nous nommons sur terre

Minutes, heures, jours, semaines, mois, saisons,

Ans, siècles.... C’est l’espace où souvent nous faisons

Voyager notre esprit altéré de mystère.

 

L’âme en volant à Dieu lègue au corps le repos.

Quand l’homme court léger, vaillant, joyeux, dispos

                À de brillantes fêtes,

Paraît-il plus serein que le mortel jeté

De ce monde où tout souffre en cette éternité

Promise par le Christ, Moïse et les prophètes ?

 

Puisque telle est la mort, Jeanne, pourquoi pleurer ?

Si dans ce monde, hélas ! nous devions demeurer,

                Ah ! crois bien, mon amie,

Que mes yeux verseraient des larmes par torrents,

Mais nous verrons un jour ainsi que nos parents ;

Au-delà du tombeau resplendir l’autre vie.

 

 

 

Mme Jeanne MUSSARD.

 

Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

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