GLOIRE AUX VAINCUS !
GLOIRE à toi, vaincu du Devoir !
Les succès vont, à notre époque,
Aux fourbes, aux gens d’équivoque ;
Ton destin vaut mieux : pour avoir
Marché tout droit quoi que l’on pense,
La misère est ta récompense...
– Gloire à toi, vaincu du Devoir !
Gloire à toi, vaincu de l’Idée !
Poète, artiste, indépendant,
Qui n’a pas vendu ton talent !
Si ta fortune est retardée,
Tes œuvres creusent le sillon
Où germe le verbe fécond,
Gloire à toi, vaincu de l’Idée !
Gloire à toi, vaincu du Bonheur !
L’homme mûrit dans les alarmes ;
Fixe l’azur, sèche tes larmes,
En attendant d’autre douleur :
La mort demain cogne à ta porte
Et frappe les tiens qu’elle emporte,
Gloire à toi, vaincu du Bonheur !
Gloire à toi, vaincu de la Gloire !
Le sang par les braves versé
Rend la défaite du passé
Plus sublime qu’une victoire ;
Les fleurs des champs sur ton tombeau
Brodent les couleurs du drapeau...
Gloire à toi, vaincu de la Gloire !
Gloire à toi, vaincu de l’Amour !
Les mains que tu n’as pas pressées,
Les lèvres qu’un autre a baisées
T’ont meurtri l’âme sans retour
Mais de la divine blessure
Ta tendresse renaît, plus pure,
Gloire à toi, vaincu de l’Amour !
Gloire à vous, Vaincus de la Vie !
Humbles grandis par les affronts !
La souffrance a paré vos fronts
D’une auréole que j’envie ;
Redressez-vous donc, haut les cœurs,
Car vous êtes les vrais vainqueurs,
Gloire à vous, Vaincus de la Vie !
Robert MYRIEL.
Paru dans La Sylphide en 1898.