LES RUINES

 

3e Méditation. – Calvin.

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Alfred NETTEMENT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je ne pouvais détourner mes regards de ce XVe siècle, si fécond en évènements et en hommes ; époque mère où tout se fonde, se crée, se perfectionne, les arts, les lettres, les sciences, la politique ; où l’invention de l’imprimerie et la découverte de l’Amérique, encore toutes récentes, produisent leurs merveilleux effets ; époque admirable par les grands caractères qu’elle étale, par les prodigieux travaux qu’elle entreprend, par les hautes questions qu’elle soulève, par les hardis jalons qu’elle jette sur toutes les routes de l’avenir ; mais aussi époque flétrie dans son germe par le protestantisme, qui, pendant qu’elle brille au dehors de tout l’éclat de la santé et de la vie, lui dévore sourdement les entrailles.

En présence de notre société moderne si avare d’hommes, et dont le sein amaigri ne semble plus porter que des avortons, je m’éprenais d’admiration pour cette inépuisable abondance, et cette incroyable fécondité. Je reconnaissais avec une curieuse terreur cette marque distinctive des sociétés qui ont de longs jours devant elles et des sociétés qui sont menacées dans leur avenir, des sociétés viriles et des sociétés caduques, des sociétés qui s’ouvrent et s’épanouissent au soleil des croyances, et de celles qui se penchent tristement sur leurs tiges, fanées par le scepticisme et mourantes d’incrédulité.

Celles-ci sont toujours prêtes à périr faute d’un homme. Comme l’empire romain au temps de Germanicus, si cet homme vient à leur manquer, tout leur manque à la fois. Des funérailles individuelles deviennent des funérailles publiques, et ne vous étonnez ni de cet amour passionné, ni de ces emportements de deuil. En pleurant amèrement sur cet appui nécessaire qui leur échappe, les nations font un retour vers leurs propres destinées ; elles se tordent les mains de désespoir à la vue de cette impitoyable fatalité qui frappe leurs ressources et leurs espérances dernières. Un empereur souhaitait que le peuple romain n’eût qu’une seule tête ; son souhait s’était réalisé sous Tibère, comme il se réalisera dans toute société vieillie, cette tête c’était celle de Germanicus. Comprenez-vous maintenant ce long et profond gémissement qui accueille Agrippine, lorsque, débarquant au port de Brindes, triste et déplorable veuve entre ses deux fils orphelins, elle rapporte à la ville éternelle la cendre d’un grand homme ? Comprenez-vous ce vaste silence interrompu de sanglots qui règne dans le champ de Mars, ce concours des populations, ces soldats en armes, ces magistrats en habits de deuil, et au milieu de toutes ces pompes du désespoir, le peuple pleurant, gémissant, criant que ses dernières espérances sont éteintes et que la république est morte ? Triste condition de ces temps où les peuples, n’en pouvant plus, sont obligés de s’appuyer sur le bras d’un homme et où les sociétés s’en allant en lambeaux cherchent pour vivre à s’encadrer dans un grand caractère !

Ce n’était point à Rome que je pensais, en me laissant aller à ces tristes méditations, en face de cette abondance de hauts personnages, qui paraissaient devant moi en tête du quinzième siècle.

J’admirais cette végétation forte et brillante comme celle de ces terres neuves que n’a point encore ouvertes le sol de la charrue. Il me semblait que dans cette multiplicité de génies remarquables jaillissant en foule du sein d’une société jeune et vivace, et s’élançant dans toutes les avenues intellectuelles, il y avait quelque chose de pareil à ce luxe de verdeur, à cette énergie de production, à ces débauches de fertilité (qu’on nous passe ce terme), que les voyageurs ont remarqués dans ces forêts vierges de l’Amérique, où la nature, toute pleine de force et de vie, semble se plaire à pousser la fécondité jusqu’à l’abus, et à étaler je ne dirai pas la munificence, mais la prodigalité de ses créations. Là, je ne voyais point une disette, mais un encombrement d’hommes. Les deux générations des Guises si puissantes et si grandes ; François de Guise et le cardinal de Lorraine marchant les premiers, François de Guise portant l’empreinte de la balle protestante de son assassin, et ayant encore à la bouche le pardon sublime qui termina sa vie ; puis, Henri de Guise sur lequel la destinée semblait s’être méprise en le créant sujet. Henri-le-Balafré, ce conspirateur de haute taille qui, étendu à terre les yeux éteints, dans une des salles du château de Blois, paraissait encore redoutable à son souverain, qui s’écriait à sa vue : « Mon Dieu ! qu’il est grand ! Il paraît plus grand encore mort que vivant. » Et après Guise-le-Balafré venait Mayenne, qui dans toute autre famille eût été un personnage remarquable ; car, dans cette époque féconde, pour une seule couronne il se présentait trois têtes capables de la porter, trois bras dignes du sceptre, et l’on ne voyait point, par un de ces pis-aller de fortunes qui n’appartiennent qu’aux siècles de caducité, la pourpre tomber indignement sur l’imbécillité d’un Claude, ou le pouvoir allant chercher dans les ténèbres de sa retraite une de ces ambitions à courte taille, qui, mêlant aux convoitises du crime les hontes de la peur, usurpent en tremblant après avoir conspiré à genoux.

Et je cherchais les auteurs de la réforme au milieu de cette foule immense de grands hommes d’État, de hardis capitaines, de ministres illustres, de savants célèbres ; les Guises, le connétable de Montmorency, l’amiral de Coligny et les Châtillons, Henri de Béarn, les princes de Condé, L’Hôpital, le premier Molé, Harlay, Brisson, de Thou. Et je voyais tour à tour passer devant moi toutes les grandeurs de cette époque : Philippe II, sombre et triste comme la nuit, cette Marie Stuart, dont le souvenir est resté cher au tant doux pays de France, et qui termina une vie de boudoir et de plaisir dans le sang et sur un échafaud ; Élisabeth, la cruelle femme et la grande reine ; Sixte-Quint, qui prit une si large place dans le monde, génie ambitieux, qui soutint mieux la couronne que la tiare ; Jeanne d’Albret, la mère de Henri IV, qui porta dans ses flancs le bonheur de la France. J’entendais de toutes parts ce siècle aux mille renommées, aux mille gloires, aux mille voix, qui, roulant, comme un grand fleuve, jetait sur ses rives des noms immortels et d’illustres souvenirs de tout genre ; hommes et femmes, aux figures largement dessinées, discouraient, marchaient, agissaient : c’était un spectacle étrange, un inexprimable bruissement. Ici, madame de Montpensier, la sanglante conspiratrice, dont les ciseaux devaient, disait-elle, changer une destinée de trône en une destinée de cloître ; là Catherine de Médicis, la créatrice italienne du gouvernement, des expédients et du système de la bascule, c’est-à-dire de la trahison appliquée à la politique, avec son poignard à deux tranchants ; Marguerite de Valois, cette maîtresse ès-voluptés, qui poussa si loin la science du plaisir et l’érudition de la galanterie ; la duchesse de Nemours et madame d’Aumale, noms de guerres civiles ; Gabrielle d’Estrées, qui doit d’avoir surnagé sur ce fleuve qui engloutit les trônes les plus solides, les empires les plus stables, les monuments les plus indestructibles, au sentiment le plus passager, à l’amour et à une romance ; il est vrai que le poète et l’amant était Henri IV.

À tous ces personnages du temps passé j’expliquai le nôtre, et je voyais les femmes s’émerveiller à la vue d’un siècle brutal, sans être viril, et je voyais les hommes d’État froncer le sourcil en face de notre chaos politique, et je voyais les savants et les écrivains reculer de terreur devant notre littérature, comme on se détourne d’un homme ivre. Montaigne et Amyot se fâchaient contre ceux qui avaient entrepris la caricature de leur style ; Bodin hochait la tête aux opinions de nos publicistes, et Charron recommandait avec sollicitude à toute notre époque la lecture de son livre de la Sagesse. Enfin il me sembla qu’il n’y avait pas jusqu’à Ronsard qui répudiait la généalogie romantique et refusait de descendre jusqu’à ceux qui ont voulu reculer jusqu’à lui. Peu à peu je me faisais jour à travers cette illustre cohue, me dirigeant vers l’endroit où j’apercevais les deux grandes bannières de la réforme, celles de Martin Luther et de Jean Calvin. Je laissais de côté le savant du Tillet et le malheureux Ramus, qui a répandu une large tache de sang sur sa chaire, Cujas, l’aigle des écoles et l’Hercule des commentateurs, Nicot, d’Ossat, Passerat et le savant Scaliger, qui me dit en passant que le style du dix-neuvième siècle était un patois et sa langue un long solécisme.

À mesure que j’approchais du lieu vers lequel je me dirigeais, j’entendais des éclats de voix et des trépignements furieux ; les deux bannières protestantes semblaient près de se croiser comme deux lances rivales, et à la fureur qui régnait sur les visages des deux chefs et de leurs disciples, on aurait cru qu’ils allaient s’égorger. Ce n’était cependant qu’une espèce de synode de morts. L’intraitable Luther prenait à partie Calvin au milieu de nos ruines, et l’accusait d’avoir fait tout le mal en pervertissant le luthéranisme par les doctrines qu’il y avait apportées. Il criait, tonnait, anathématisait avec cette véhémence et cette hauteur qui le faisaient traiter de tyran pendant sa vie, lorsque Calvin se plaignait à Mélanchton de ce qu’il n’était pas même permis dans la nouvelle Église de pousser un gémissement libre ; lorsque dans cette fameuse auberge de l’Ourse noire, à Genève, Luther défiait Carlostad d’écrire contre lui, et lui promettait, s’il l’entreprenait, un florin d’or, qu’il lui jetait dédaigneusement dans la main ; défi accepté par Carlostad, qui faisant raison à son tour à la santé que portait ironiquement Luther à son futur ouvrage, vidait son verre comme lui, et le quittait après cet apostolique adieu : Puissé-je te voir sur la roue ! Il y avait dans la scène qui s’offrait à mes regards quelque chose de cette admirable union, de cette touchante harmonie, les paroles heurtaient les paroles, les gestes s’entremêlaient, les cris, les rires, les murmures se confondant formaient je ne sais quel ensemble discordant, accord étrange ! et l’on aurait dit que ce siècle querelleur et mauvais garçon allait rentrer sur la scène pour nous donner le spectacle de quelque nouvelle tragédie. Mais la voix de Luther dominait toutes les voix, la fureur de Luther surpassait toutes les fureurs, et Érasme qui, placé dans un coin du tableau, observait en souriant toute cette guerre posthume, semblait répéter d’un ton de bonhomie méchante ce qu’il répondit aux furieuses invectives du réformateur lors de son étrange hymen avec une religieuse : « Et moi aussi, j’avais cru naguère que le mariage l’aurait adouci. »

Mais rien n’y pouvait, ni mariage ni tombe, et le dur et orgueilleux Calvin, commençant à relever la tête, se préparait à soutenir l’honneur de Genève contre Wittenberg. À celui qui lui reprochait de s’être écarté de la pureté du luthéranisme, il répondait qu’il en avait bien autant de droit qu’en avait eu Luther de s’écarter de l’Église de Rome ; à celui qui lui reprochait d’avoir poussé la rigidité jusqu’à l’exagération, il répondait qu’il n’avait fait qu’appliquer les maximes de Luther contre les idolâtries catholiques : « Mon crime, disait-il, c’est d’avoir été meilleur logicien que vous. Tout le monde peut dire comment je sais presser un argument, et combien est précise la brièveté avec laquelle je raisonne. Vous eûtes, il est vrai, l’avantage de poser les principes dans le luthéranisme ; mais moi, j’en ai déduit les conséquences dans le calvinisme avec une toute autre suite et une toute autre force que vous. Vous n’ignorez pas à quel degré du théâtre je suis, et toutes les fois que mes ennemis m’ont attaqué, vous savez qu’ils ont senti mes piqûres. Enfin, si vous avez été grand en Allemagne, je le fus en France. »

Et moi, ne pouvant souffrir cet orgueil impie qui triomphait de nos ruines et se faisait un trophée de nos malheurs : « Oui, Calvin. vous avez raison contre Luther votre complice, mais le christianisme a raison contre vous deux. Oui, Calvin, vous pouvez, vous devez marcher l’égal de Luther, car il y a autant de désastres derrière vous que derrière lui, car tous vos pas vers ce que vous appelez la gloire sont marqués par le meurtre et l’incendie comme les siens, car il y a deux sillons égaux et parallèles dans l’histoire, tous deux, creusés par le fer, tous deux rouges de sang ; celui-ci c’est le votre, docteur de Wittenberg ; celui-là vous appartient, docteur de Genève. Oui, Calvin, vous avez été aussi grand en France que Luther le fut en Allemagne, car la France vous dut autant de guerres civiles que l’Allemagne en dut à Luther, autant de conspirations, autant de massacres, autant de crimes, autant de misères ; vous êtes son rival de calamités, vous êtes son égal en fléaux. Et quelqu’idée que vous ayez de votre puissance, Calvin, vous n’en estimez pas encore assez toute l’étendue. Les effets de votre parole ont été encore plus prodigieux que votre orgueil. Le bras d’un homme a arrêté un siècle. Riche en talents, fertile en génies, comblé de toutes les faveurs de la fortune, ce siècle, favori d’en haut, s’apprêtait à s’élancer vers de glorieuses destinées par une large route en étalant toutes les splendeurs de sa jeunesse ; et vous vous êtes mis devant lui, vous l’avez repoussé en arrière, vous l’avez scellé avec un anneau de fer dans le sentier rude et escarpé de la réforme ; vous l’avez engagé dans ces voies âpres et ténébreuses, dans ce labyrinthe sans horizon où les nations ont marché sans avancer d’un pas, où elles ne pouvaient point avancer, puisqu’il n’y avait point de but. Si l’on est grand non par ce que l’on fait, mais par ce qu’on empêche ; s’il y a de la gloire à fouler la moisson aux pieds lorsque ses épis jaunes s’étendent en nappe d’or aux rayons d’un soleil d’août ; s’il y a de la gloire à éteindre les plus éclatantes lumières, à faire tomber en poudre les chefs-d’œuvre, à changer en un vil plomb l’or le plus pur, à renier le passé, à désoler le présent, à déshériter l’avenir, alors, Calvin, vous êtes bien grand, et personne sur la terre ne peut lever la tête aussi haut que vous. Mais pour mesurer l’importance de votre œuvre, savez-vous ce qu’il faudrait, réformateur de Genève ? Il faudrait qu’on pût voir et dire quelle eût été la destinée du quinzième siècle, si vous ne l’aviez point mis à votre marque ; dans quelles voies il se serait engagé, si vous ne l’aviez pas précipité dans les routes du calvinisme ; ce qu’il aurait fait de tant de beaux génies et de hardis caractères, que les troubles et les guerres de religion ont inutilement dévorés ; ce qu’aurait été enfin le mouvement de l’humanité, si vous ne lui aviez pas imprime cette violente secousse qui fit perdre l’équilibre au monde chrétien. »

Et pendant que je parlais ainsi, tous les grands hommes qui m’entouraient s’avançaient et poursuivaient Calvin de leurs plaintes et de leurs clameurs. Les Guises, ces hauts génies qui dominent leur époque de toute la tête, se plaignaient d’avoir été obligés, par le protestantisme, de gagner à l’intérieur toutes leurs batailles, et de consumer dans des guerres civiles les talents qui auraient élevé leur pays au premier rang des nations. En rappelant Calais repris sur l’Angleterre et Metz défendu contre les impériaux, François de Guise montrait ce qu’il aurait pu faire par ce qu’il avait fait ; Henri de Guise rappelait les Pays-Bas refusés par Henri III, à cause des embarras intérieurs du royaume, et la France du quinzième siècle manquant, grâce au calvinisme, l’occasion d’étendre ses frontières aux rives du Rhin.

Montmorency, Colignv, Châtillon, et derrière eux, toute une troupe de vaillants capitaines, tirant à demi leurs formidables épées, reprochaient au réformateur de Genève le sang français dont elles étaient couvertes. Achille de Harlay, ce stoïcien du christianisme, L’Hôpital, ce « censeur Caton avec sa barbe blanche, qui le faisait ressembler à un saint Jérôme 1 », se plaignaient du malheur d’une époque où leurs vertus glorieuses pour eux étaient restées inutiles à la France ; L’Hôpital surtout accusait Calvin et le protestantisme d’avoir condamné son génie législateur à descendre jusqu’à des institutions de guerres civiles, violentes et transitoires, comme l’édit de Romorantin. Et puis venait Sully, qui montrait la prospérité nationale, si longtemps enchaînée avec lui dans les camps, et son génie financier n’arrivant que pour combler des gouffres, au lieu de pouvoir développer des germes de richesses. Enfin, fermant la marche du siècle, apparaissait Henri IV, triste et soucieux comme le jour où de secrets pressentiments lui annoncèrent sa fin, et lui aussi reprochait au calvinisme et à son auteur d’avoir enlevé la meilleure partie de sa vie au bonheur de la France, et lui aussi parlait de ce qu’il aurait fait contre l’Espagne et pour son pays, s’il avait été à la tête d’une nation unie et tranquille, au lieu d’avoir une bataille à livrer à chaque marche du trône. Législateurs, hommes d’État, vaillants capitaines, rois et princes, tous entouraient le coupable Calvin, tous lui demandaient compte de ces grandes destinées avortées, de cette haute fortune écrasée dans son germe, du présent et de l’avenir de la France étouffées à bras d’hérésie ; et il me semblait qu’Henri IV, voyant cette route de succès et de gloire que le calvinisme avait barrée devant son règne, s’écriait une seconde fois : Pends-toi, brave Crillon !

Et moi, je disais : « Voyez, Calvin, voilà votre ouvrage ; voilà la France telle qu’elle eût été ; la voici telle que vous nous l’avez faite. Et maintenant si du monde politique vous passez dans celui des intelligences, vos bienfaits n’y ont été guère moins sensibles. Vous êtes venu à une époque de croyance et de création, et vous avez jeté le scepticisme et la stérilité à pleines mains sur les arts et sur les lettres, vous avez retiré le mouvement des esprits des larges routes où il entrait, pour le précipiter dans les défilés de la scolastique, où le cœur se dessèche et où l’intelligence s’appauvrit. Pour les arts, la réforme qui éclata au sujet de quelques aumônes destinées à élever la basilique de Saint-Pierre, resta en tout digne de son origine. Jetant à bas toutes ces croyances qui sont comme autant de draperies tombant sur les nudités de la vie, elle rêva pour chef-d’œuvre une société machine, sans inspiration, sans génie, sans enthousiasme, une société la tête baissée vers la terre, au lieu de la lever vers le ciel. Aussi, Calvin, la belle Italie, cette terre de poésie et d’inspiration, resta-t-elle murée pour vous ; le paradis des arts n’avait point de porte par laquelle le protestantisme pût passer. L’esprit de discussion et de dénigrement, la rage de la dispute, la faconde pédante des écoles, voilà vos muses, et vous nous avez donné pour Iliade les psaumes de Marot. Merci, Calvin ! vous dont la doctrine iconoclaste aurait brisé les vierges de Raphaël comme des idolâtries ; vous qui, avec votre barbarie hérétique, sembliez avoir hérité des traditions de la barbarie armée qui détruisit l’ancienne Rome. Merci, Calvin ! vous avez beaucoup fait pour la France ; car vous avez claquemuré toutes les forces de son esprit, toutes les puissances de son âme dans un inextricable dédale de théologie ; vous avez aigri les voix les plus suaves et les plus douces, et grâce à vous, lorsque la postérité s’arrête pour écouter le XVe siècle, elle n’entend dans notre belle France qu’un combat d’injures, le rauque bruissement des thèses, le tumulte des conférences, et les tempêtes des colloques, tandis que d’un bout du monde catholique à l’autre la voix du Camoens et du Tasse, dominant ces murmures confus de leurs ineffables harmonies, s’élèvent majestueusement vers le ciel comme deux voix d’anges qui, pures et solennelles, s’écoutent et se répondent dans ces régions supérieures inaccessibles aux vains bruits de l’humanité.

 

 

Alfred NETTEMENT.

 

Paru dans Écho de la jeune France en 1833.

 

 

 

 



1 Brantôme.

 

 

 

 

 

 

 

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