Le Morbihan

 

 

         À mon ami l’abbé C. Le Guen.

 

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                                 I

 

Hier, j’ai parcouru le paradis terrestre.

S’il n’a pas la grandeur d’un paysage alpestre,

Il offre à l’œil séduit de magiques tableaux :

Près de nous la campagne et près des champs les flots.

La maison 1, nid joyeux, entouré de feuillage,

D’où le regard charmé peut dominer la plage,

S’élève, avec un air de castel féodal,

Sur les prés verdoyants qui tapissent le val.

Le ciel est pur, l’air frais dilate la poitrine :

C’est si bon les senteurs de la brise marine !

Et le doux clapotis de l’eau sur le galet

Forme un bruit monotone et vague qui me plaît.

 

Quand le soir est venu, penchés à la fenêtre,

À l’heure où dans le ciel les étoiles vont naître,

Nous voyons s’effacer dans l’ombre des lointains

Les îlots dont l’œil suit les contours incertains.

Sur la blancheur des eaux où la lune se mire,

Se détachent sans bruit des points noirs que j’admire ;

Seul, le phare voisin lance ses flèches d’or

Au flot silencieux qui s’affaisse et s’endort.

 

Splendeurs d’un ciel serein qu’aucun souffle n’altère,

Repos mystérieux des flots et de la terre,

Alors que la nature, interrompant ses bruits,

Prend, pour chanter son Dieu, le silence des nuits !

 

 

                                 II

 

La nuit s’écoule, l’aube a brillé, tout s’éveille.

Calme, la mer a pris une teinte vermeille ;

Des îles et des prés, du ciel et des buissons,

Se répand dans les airs un essaim de chansons.

Si votre âme tressaille au chant de la nature,

Si votre cœur charmé goûte sa beauté pure,

Pour jouir du matin aussi beau que le soir,

Suivez-nous et montons au faîte du manoir ;

– Comme ceux d’autrefois le nôtre a sa tourelle. –

À nos pieds, blanc miroir, l’eau paisible étincelle :

C’est la Petite mer, c’est notre Morbihan,

Moins beau, plus gracieux que l’immense Océan.

Rien qu’à le contempler, la gaieté se réveille.

Regardez : on dirait une verte corbeille

Où Dieu, comme des fleurs, a semé les îlots.

Leur rivage inégal, festonné par les flots,

Avec ses abris sûrs, ses rocs, ses promontoires,

Le sable étincelant au pied des roches noires,

Et les blanches maisons au milieu des blés verts,

Découpent sur les eaux mille dessins divers.

Devant vous, une terre au séduisant rivage

Sépare le lac bleu de l’Océan sauvage :

C’est Rhuys, fière d’avoir abrité dans son sein

Le berceau d’un grand homme et le tombeau d’un saint 2.

Plus loin, on vit céder à la force romaine

Le Vénète, vaincu sur la mer, son domaine.

Là-bas, Carnac étend ses lignes de menhirs,

Vestiges glorieux ou sanglants souvenirs.

Ainsi nous contemplons, de l’heureuse demeure,

Le présent qui sourit et le passé qui pleure ;

Et le jour, qui fait voir ce spectacle charmant,

N’est à notre œil ravi qu’un rapide moment.

 

 

                                 III

 

Si je pouvais crier au temps qui vole : Arrête !

Je vivrais, loin du bruit, dans cette humble retraite,

Où je viens quelquefois, insouciant et gai,

Reposer, un instant, mon esprit fatigué.

Hélas ! il faut partir ! Vous du moins dont la vie

S’écoule, en tous climats, au gré de votre envie,

Abandonnez le monde et ses enivrements,

Pour retremper votre âme, au bord des flots charmants.

Dans ce paisible éden il est si doux de vivre !

La campagne et la mer nous parlent comme un livre,

Et le cœur, pénétré par un rayon de feu,

Dans un élan d’amour se rapproche de Dieu.

 

 

                                 IV

 

Debout sur le volcan couronné de fumée,

J’ai vu Naple et Sorrente à la plage embaumée ;

J’ai senti le parfum des orangers en fleurs,

Près des flots nuancés de joyeuses couleurs :

Et pourtant, loin du sol où fleurit la bruyère,

Loin des mers dont la voix me semble une prière,

Il manquait à mon cœur ce qu’il voyait jadis,

Ce que j’ai retrouvé dans ce doux paradis.

 

        Arradon, septembre 1878.

 

 

 

Maximilien NICOL.

 

Paru dans la Revue de Bretagne et de Vendée en 1878.

 

 



1  Elle vient d’être bâtie par l’ami auquel nous dédions ces vers.

2  Le connétable Arthur de Richemont et saint Gildas.

 

 

 

 

 

 

 

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