Grand-mère

 

 

Ma petite Jeannette est morte

En son lit grand comme un berceau :

Voilà sa chambre où son cerceau

Pend encor derrière la porte.

 

Et voici son tablier bleu

Pour porter du grain à ses bêtes,

Son beau chapeau des jours de fête,

Son manteau gris pour quand il pleut.

 

Avant la soupe, au soir tombant,

Les jeux finis, les fleurs coupées,

Elle cousait pour ses poupées,

Assise sur un petit banc ;

 

Ou bien épelait, sans tapage,

Tout haut, pour ne point bredouiller,

Et le rond de son doigt mouillé

Marquait l’angle de chaque page.

 

Je la trouvais au jour levant

Telle qu’au soir je l’avais mise,

Roulée en sa longue chemise

Comme un petit paquet vivant.

 

Ô ma Jeannette, ma Jeannette

Qui, s’éveillant, disait : « Coucou ! »

Et, grimpant bien vite à mon cou,

Faisait chavirer mes lunettes !

 

Nous nous en allions promener,

Sa menotte en ma main blottie.

Mais maintenant qu’elle est partie,

Je vais mourir, vous comprenez.

 

Jamais, bien sûr, le temps n’efface

Un chagrin comme celui-là !

Puisque mon enfant s’en alla,

Que voulez-vous donc que je fasse ?

 

... Dans le pré des coquelicots,

– Rousse, brune, châtain ou blonde –

Les fillettes dansaient la ronde

Et je tricotais mon tricot.

 

Coquelicot ; pervenche et mauve !

Au premier tour, faut s’embrasser ;

Au deuxième tour, faut passer ;

Au troisième tour, l’on se sauve !

 

« C’était un sire de Bordeaux,

Époux d’une reine Églantine... »

Ses petits bas sur sa bottine,

Son chapeau flottant sur son dos,

 

Elle se sauvait, ma Jeannette,

Ma mignonne aux cheveux dorés,

Son rire tintait sur les prés

Comme une argentine sonnette.

 

Puis, dès qu’on la voulait saisir,

Elle m’appelait à son aide.

Je sentais son cœur d’oiseau tiède

Battre de crainte et de plaisir.

 

Le soleil a tari la source

Et desséché le vert roseau :

Ô pauvre petit cœur d’oiseau

Qui s’est arrêté dans sa course !

 

De mes vieilles mains j’ai planté

Des fleurs sur elle, au cimetière ;

Sa tombe embaume tout entière

Sous les lis et les roses-thé.

 

Mais je m’en reviens, je pénètre

Dans ma chambre claire, en tremblant ;

Je revois le banc de bois blanc,

En place, contre la fenêtre.

 

Je voudrais pleurer, pas moyen !

Ô mon Dieu, des douleurs pareilles !

Les enfants et les bonnes vieilles

Ensemble s’accordent si bien !

 

Daignez, mon Dieu, daignez m’entendre...

Je n’ai plus à vivre à présent,

Je suis seule à quatre-vingts ans,

Et me sens si lasse d’attendre !

 

 

 

Gabriel NIGOND.

 

Recueilli dans Répertoire poétique,

poésies et monologues recueillis

par Camélienne Séguin,

Montréal, 1937.