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     Prières d’avant la vie,
     de pendant et d’après




                                I


                            AVANT


Seigneur qui tenez entre vos doigts mon âme
            Comme une chandelle
De pissenlit mûr dont le vent vous réclame
            Ailleurs les cent ailes ;

Qui la tenez frémissante au bord du monde,
            Frêle autant que folle,
Et d’un souffle allez la chasser à la ronde
            Pour qu’elle s’envole ;

Ô Dieu ! qu’allez-vous faire ? Une âme immortelle
            Que nul ne rattrape,
Vous pas même, quand sa route nouvelle
            De vos mains s’échappe.

Prenez garde ! C’est une douleur si grande
            Que le vent immense
Emportera toujours plus loin sur la lande
            Sans fin qui commence !

Ah ! ne me livrez pas si faible à l’espace
            Errant de ma vie
Où nul chemin frayé devant moi ne passe
            Pour que je m’y fie ;

Au champ de détresse et d’affres que personne
            Alentour ne fauche ;
Où, derrière un buisson triste qui frissonne
            – Est-ce à droite, à gauche ?

Couve un étang d’eau vieille et faussement douce
            Plein de péché trouble,
Où quelque Ange en fuite et la Bête à ses trousses
            Pleurent à voix double ;

Où la route qui cherche un pays ignore
            Lequel sera traître...
Laissez-moi sans vivre, ah! vous, Dieu que j’implore,
            Laissez-moi sans être !

N’ouvrez pas au jour hostile qui s’élance,
            La nuit de mon somme,
Pour me jeter tremblante encor de silence
            Dans le bruit des hommes,

Où m’attendent mon ennemi qui se mêle
            Aux fleurs, à la brise,
Et mon ami... Ah ! qu’allez-vous faire ? Une aile
            Que le chasseur brise.
Mon ennemi ? Craindrai-je que sa main vaine
            Me blesse, me touche,
Moi de songe entourée, ô moi, plus lointaine
            Qu’une île farouche ?
Mais mon ami me percera d’une flèche
            Terrible de joie
Et ne viendra pas même dans l’herbe fraîche
            Ramasser sa proie.

En lui, là, commencera ma solitude,
            Ma tombe sans bornes,
Le froid noir où criant dans l’air que dénude
            Un ouragan morne,
Pâle, je cherche à mourir de place en place
            Sans pouvoir atteindre
L’endroit hors de jour et de nuit où trop lasse
            Je pourrai m’éteindre.
Et mourront mes mains, ma bouche, quand sonnée
            Un soir sera l’heure,
Et mes yeux, sans que d’eux tous abandonnée,
            Mon âme, elle, meure.

Elle qui perd son corps en route et ne tremble
            Que plus fort dans l’ombre
Après, hors du sein débile qui rassemble
            Ses ailes sans nombre,
Sans trouver de passage pour disparaître
            Et sortir de vie...
Ô Dieu, retenez votre souffle ! De naître
            Je n’ai pas envie.

Dans votre bouche, ô Dieu, retenez mon âme
            Comme une parole
En danger que le vent épie, une flamme
            Qui deviendra folle.
Quand sera loin de vous envolée au monde
            Ma graine immortelle
D’angoisse, qui pourra d’un souffle à la ronde
            Me délivrer d’elle ?



                              II


                        PENDANT...


Père, j’ai bien compris. Si je suis orpheline,
Tremblante au froid du monde et prise par la nuit
Qui s’empare des lieux abandonnés et mine
Les vieux chemins que plus une âme ne conduit ;

Si je n’ai rencontré personne sur la route
Sauf un passant qui se détourne ; si jamais
Je n’ai trouvé, frappant dans le soir qui m’écoute,
La porte pour entrer en celui que j’aimais ;

Si je ne vois pas où s’achève dans la plaine
Le champ de douleur longue où j’erre pauvrement,
C’est qu’en créant le monde et nos places humaines,
Ô Père, vous n’aurez pas pu faire autrement.

Quand le maçon bâtit, les éclats de la pierre
Tombent autour de lui qui frappe, je sais bien.
Et quand elle a taillé sa toile, l’ouvrière
Jette au vent les lambeaux qui ne servent à rien.

Nul ne fait, je sais bien, de créature bonne
Sans condamner le trop de son oeuvre à périr.
– Et moi-même en chantant ces vers-ci j’abandonne
Des mots au coeur battant que je laisse mourir. –

Certes, ô Maître grand, vous êtes plus habile,
Mais la gloire du monde est un chef-d’oeuvre ardu.
Je suis dans votre ouvrage un peu d’être inutile,
Un peu de sang pour rien que vous aurez perdus.

Je suis, ne sachant rien qu’être à vous toujours prête,
Un fil de pauvre sort que briseront vos doigts,
Un docile tissu qui doucement vous prête,
Ô chères mains de Dieu, la misère qu’il doit.

Père, j’ai bien compris : vous avez besoin d’ombre
Pour faire rire mieux la lumière, et besoin
De nuit pour que le jour après ce péril sombre
Soit plus émerveillé de revenir de loin ;

Et besoin dans les champs d’herbe grise, humble, vaine,
Pour que la fleur éclate en plaisir plus vermeil ;
Et de brume, et de pluie, et de temps pleins de peine
Pour que les autres temps soient plus beaux au soleil.

Je sais que les maisons ont une quiétude
Mieux à l’abri, plus close et tiède tout bas
Quand on entend dehors errer la solitude
Et les chemins du soir qui n’arriveront pas ;

Que le bonheur, quand le vent souffre, a plus de charme
Et frissonne serré dans le nid de l’amour
D’un tremblement plus doux, d’une plus chère alarme
Quand s’élève une plainte égarée alentour ;

Qu’il faut à mon ami, pour lui rendre meilleure
La tendresse où son coeur près d’un autre se tient,
Qu’au loin dans l’hiver triste une ombre fuie et pleure.
Et Peut-être c’est moi... Je pleure... Tout est bien.



                             III


                          APRÈS


C’est la Mort, ô notre Père, qui m’amène
Dans votre Paradis et me laisse là.
Et je ne connais personne ici qu’à peine
Le Maître de la maison qui m’appela.

Je suis la petite fille en laide robe
Qui n’a pas bien su même laver ses mains
Et dans l’ombre de la porte se dérobe,
Sans oser se voir aux lumières sans fin.

Je suis cet enfant triste au milieu des noces
– Ses parents l’ont oublié le plus souvent –
Gauche, honteux parmi ces choses féroces
Des gens, des regards et du bruit triomphant.

Et le Maître du festin ne sait que faire
De ce petit sot qui de la fête a peur...
Ne vous croyez pas obligé, Notre Père,
De me donner comme aux autres du bonheur.

Le bonheur que vous me voulez, qu’en ferais-je ?
M’asseoir à côté de tous vos saints assis
Dans vos jardins plus lumineux que la neige ?
C’est bien de l’honneur mais, ô Père, merci !

Le bonheur, c’eût été, très loin dans la plaine
Très seul, très tard, ne plus savoir où l’on va
Et tout à coup une main vous prend, vous mène...
Ô Dieu ! c’eût été ce pauvre moment-là.

S’il se peut ici qu’une grâce me change
En âme qui n’a pas encore pesé,
Légère au ciel comme une aile de jeune ange
Qui nulle part n’a besoin de se poser,

Le bonheur, c’eût été, très lourde, très lasse,
Tomber d’un vol qui se brise dans le coeur
À peine entr’ouvert de celui-là qui passe
Et ne plus sortir jamais de sa douceur.

Ah ! vous aurez beau ce soir me tenir prête
Une auréole, ô vous qui n’avez permis
Jamais qu’en tremblant j’aille cacher ma tête
Pour y dormir dans l’ombre de mon ami.

Vous aurez beau maintenant me faire entendre
À l’oreille les sept voix du Saint-Esprit,
Quel Verbe, si Dieu soit-il, pourra me rendre
Le mot d’amour que personne ne m’a dit ?

Seigneur, ah ! je vais vous donner de la peine
Plus que je ne vaux et n’ai jamais valu,
Ô vous qui payez ici-haut l’âme humaine
Du mal que là-bas lui coûta son salut.

Peut-être je fus plus faible que mauvaise,
Rien que maladroite et vous cherchez en vous
Pour moi, qui n’eus pas sur terre beaucoup d’aise,
La céleste part des pauvres et des doux.

Vous voudriez, à cette vierge dont la faute
La plus grande hier fut Peut-être un regret,
Découvrir enfin dans la lumière haute
Vos jeux purs... mais qu’ai-je à voir dans vos secrets ?

Mais quand j’apprendrais à vous compter dans l’aire
Où la Trinité met ses Dieux en commun,
Je n’aurais voulu rien que savoir naguère
Comment deux coeurs fols ensemble n’en font qu’un.

Ah ! tous ceux qu’un soir vous avez l’un à l’autre
Mêlés, chancelants d’espérance et d’appel,
Les voici, leur joie assise dans la vôtre.
À leurs doigts voici leurs anneaux éternels.

Ceux qui pour toujours s’aimèrent au passage
Comme j’eusse aimé si l’un avait voulu,
Les voici, beaux, fiers, se touchant le visage
Dans leur baiser que rien ne déliera plus.

Mais moi, Père, comment les regarderai-je ?
Moi si seule sans fermer à chaque instant
Mes yeux vides où passera le cortège
De leurs noces qui vont durer si longtemps ?

Ah ! j’ai pu supporter la terre, elle passe !
Elle change ! Elle est pleine jusqu’à la fin
D’espérance toujours brave, jamais lasse,
Qui va se fiant aux détours du chemin ;

L’espérance à travers les saisons avares
D’un jour autre qui viendra vous secourir,
D’un jour autre qui sur les routes plus rares
Ne vient pas... et l’espérance de mourir.

Mais c’est fini maintenant, fini d’attendre.
Chacun a reçu, chacun garde sa part
D’amours saintes, de feu pur qui va reprendre.
Pour qui n’a rien eu, rien ne reste... Trop tard !

Et l’enfant qui crut avec son doux courage
Se hâter vers un nid providentiel,
Dans le froid d’en haut sent faiblir son visage
Et soudain éclate en sanglots dans le ciel.

Il pleure, arrêté dans ce ciel sans remède,
Il pleure en ce ciel des autres, où l’instant
Du bonheur humain ne viendra plus à l’aide
De son âme, hélas! qui fut humaine tant !

Ah! Père, n’allez pas, je vous en supplie,
À cause de moi vous faire du souci.
Pour être heureuse, ô Dieu, j’ai trop de folie,
Trop de douleur éternelle pour ici.

Mais s’il vous plaît – ô Dieu, vous êtes le Maître
Et je n’ai pas de conseil à vous donner –
Mais s’il vous plaisait après m’avoir fait naître
Et mourir en vain, d’enfin me pardonner,

Ce coeur que vous m’avez fait, blessé d’avance,
Puisque nul n’en a besoin pour le sien,
Puisque, si je tombe en quelque puits immense,
À personne autour il ne manquera rien,

Puisque personne hors vous n’a vu mon âme,
Mieux vaudrait Peut-être – ô Dieu, ne craignez pas
Si vous la tuez, que quelqu’un la réclame –
Peut-être en finir avec elle tout bas,

En finir pour la guérir d’être immortelle
– Immortels seront les autres ! – me guérir,
Par pitié, d’être sans fin à cause d’elle
Ce mal qui ne peut ni vivre, ni mourir.

Ah ! pendant qu’en vous elle frissonne, tendre
Comme un duvet chassé là par le refus
Des vents heureux qui ne veulent pas le prendre,
Vous, ô vous, son Créateur, soufflez dessus.

Soufflez comme hier vous soufflâtes, ô Père,
Pour faire entrer ce fol tremblement humain,
Cette inquiétude en quelque peu de terre
Que vous teniez dormante encore en la main.

Un soupir de vous sera mon dernier être,
Je passerai... je n’aurai plus jamais de moi,
Plus jamais ni vent ni nouvelle... Mon Maître,
Voulez-vous autre chose ? Ah ! que voulez-vous ?

– Toi.



Marie NOËL.

 

 

 

 

 

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