Le potier de l’Acropole
Ô Christ, mon héritage et ma seule espérance !
Sachant pourquoi je vis et comment la souffrance
Prépare à la pitié les pauvres cœurs humains,
Je remettrai sans peur mon âme entre tes mains.
J’ai comblé de travaux les longs jours que j’achève
Sans avoir mesuré leur vanité trop brève,
Et, bien près de franchir le seuil abandonné,
Je te demande tout sans t’avoir rien donné !
Je n’ai pas accompli, dans l’ombre de l’église,
Les modestes labeurs que Marthe divinise,
Et je n’ai pas non plus, comme Marie, aimé,
Ni brisé devant toi le vase parfumé ;
Mais, parmi des fiertés que le vulgaire ignore
Et dont mes derniers ans se nourrissent encore,
Je compte d’avoir dit et compris en chrétien
La grandeur de ton culte et l’honneur d’être tien.
Si je n’ai pas servi de parole et d’exemple,
J’ai voulu cependant porter ma pierre au temple
Qui verra dans ta paix les hommes s’assembler.
Toi seul sais les conduire et seul les consoler.
Entre les nations ton œuvre continue,
Tantôt éblouissante et tantôt inconnue,
Et les bons ouvriers pour l’ouvrage marqué,
Baptisés de ton sang ne t’ont jamais manqué.
Je sais, sous l’Acropole, un vieux potier d’argile
Qui finit sa journée en lisant l’Évangile.
Le soir tombe ; ses doigts ont longtemps travaillé ;
Il a songé beaucoup et quelque peu prié ;
Mais s’asseyant au seuil de son humble boutique,
Il reçoit dans ses yeux tout l’azur de l’Attique,
Et l’invincible appel lui fait toujours chercher
Les beaux marbres divins épars sur le rocher.
Sois-lui clément, Seigneur ! Promets au vieil artiste
Ce bonheur qui souvent lui fit l’âme moins triste ;
Accorde-lui le droit d’un suprême regret.
Si son cœur fut à toi, son esprit en secret
Gardait aux dieux éteints l’hommage de sa race.
Fais qu’il admire, alors que le soir les efface,
Les formes de la terre et les lueurs du ciel,
Et, puisque l’heure approche où l’ombre est plus profonde,
Qu’il dise ses adieux aux beautés de ce monde
Avant de pénétrer dans le monde éternel !
Pierre de NOLHAC.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.