LE VOYAGEUR AU TERME DU VOYAGE
À ERNEST RAYNAUD.
Quel soir délicieux ! quel pénétrant silence !
Après tant de chemin par des Plaines immenses,
Une attente si longue et des doutes si durs,
J’arrive donc au seuil des pays de l’azur !
Je ne me souviens plus qu’à peine de ces heures
Où j’allais sans répit de demeure en demeure,
Emportant seulement comme au fond de mes yeux,
L’image d’un vallon natal, mystérieux !
Oui, j’ai vu des cités, des forêts, des rivages.
Les chants d’un peuple en fête aux portes d’un village
Sont venus jusqu’à moi... Des cloches ont sonné...
J’allais, j’allais toujours vers mon rêve, obstiné,
Et les chemins de fer frôlaient des églantines.
Mais, à l’air qui soudain a gonflé ma poitrine,
J’ai su que j’approchais du terme. Et cette fois
Une calme splendeur emplit ce que je vois.
Équilibre suprême ! Ordre, force, harmonie !
Je m’arrête, comblé d’une paix infinie
Et je regarde fuir en un tourbillon noir
Le train qui m’a permis d’atteindre à mon espoir.
Son bruit décline, il sombre en la nuit qui commence.
Et je ne ressens plus pour lui qu’indifférence,
Pour lui qui jusqu’ici m’était si précieux !
Je suis au terme. Et lui, cherche encor d’autres cieux.
Qu’il coure vers des buts que j’ignore, qu’il mène
D’autres hommes errants vers des rives lointaines !...
Ah ! je voudrais savoir si mon âme à la mort
Ne souffrira pas plus quand s’en ira mon corps !
Noël NOUËT.
Paru dans La Muse française en 1923.