Lassitude
QUAND la voix de la mort frappera ma pensée,
Disant il faut partir !
Quand je verrai son ombre à mon chevet dressée,
Et que je sentirai sur ma tête glacée
Sa main s’appesantir,
Mon âme s’échappant de sa prison fragile,
Libre, prendra son vol
Et ne laissera rien qu’une forme immobile,
Un cadavre plus vain que la poudre d’argile,
Qu’on foule sur le sol.
Alors, près de ma couche où brillait l’espérance
Comme un astre menteur,
Une ombre au voile noir, sanglotant en silence,
Viendra s’agenouiller et prier la clémence
Du divin Rédempteur.
La lampe qui nous veille à ce dernier rivage
Où rien n’est agité,
De ses pâles reflets couvrira mon visage,
Flambeau mystérieux et consolante image
De l’immortalité.
Et les cloches dans l’air, comme une voix qui pleure,
Annonceront à tous
Que du fardeau des jours, libérée avant l’heure,
Une âme pour jamais vient de prendre demeure
Au dernier rendez-vous.
Au bruit retentissant des funèbres volées,
Parents, amis en deuil,
Descendront des hauteurs, monteront des vallées,
Et le triste convoi, plein de voix désolées
Conduira mon cercueil.
Hommes pour qui la vie est une voie austère,
Et soumis au destin
Ils diront en rendant ma dépouille à la terre :
Il ne souffrira plus de l’humaine misère,
Qu’il se repose enfin !
Et, dans l’immense rang j’occuperai ma place ;
Endormi sans retour,
Près de ceux qui sont morts sans point laisser de trace,
Où chaque âge s’en va, comme une ombre qui passe,
S’abîmer tour à tour.
Oh ! près de mes aïeux avoir une humble tombe
Pour mes restes lassés !
Une croix de bois noir, un saule qui surplombe,
Et puis ce grand oubli qui sur chacun retombe,
N’est-ce pas bien assez !
Léon NOUVELLE.
Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,
publié par Charles Buet, 1889.