Pauvreté

 

 

Qui donc fera fleurir toute la pauvreté ?

Quand Jésus a quitté le ciel, il l’a quitté

Pour une étable ; il est charpentier, il travaille ;

Né sur l’or, mais sur l’or mystique de la paille,

Entre l’âne et bœuf, l’ignorance et l’erreur,

Lui qui pouvait choisir un berceau d’empereur,

Qu’aurait ému le pied rieur des chambrières,

Préfère une humble crèche où l’ange est en prières !

Certes l’argent est bon, l’or est délicieux,

Mais l’un ouvre l’enfer, l’autre ferme les cieux ;

L’un sait glacer le cœur, l’autre étouffer les âmes ;

L’or met sa clarté louche où l’amour met ses flammes,

L’or est un soleil froid ; le soleil chauffe et luit,

Car il est fils du ciel ; l’or est fils de la nuit :

À pleins bords pour le crime, et rare pour l’aumône,

Il coule, et la famille, où sonne son flot jaune,

S’écroule au bruit joyeux des pièces de vingt francs.

Et plus ils sont dorés, moins les baisers sont francs.

L’or est un mal où l’homme, hélas ! cherche un remède.

Sitôt qu’il crie et souffre, il l’appelle à son aide,

Pour vêtir sa misère et combler avec lui

Son cœur vide, et le gouffre amer de son ennui.

Grâce à l’argent, le mal trône et rit sur la terre.

À son contact banal, quelle âme ne s’altère ?

Jésus était-il riche, et Pierre l’était-il ?

Une humble barque, ouvrant sa voile de coutil,

C’est peu – même en comptant le souffle de la brise, –

Cette voile a grandi ; voyez-là, c’est l’Église !

 

Travaillez, c’est la règle, enrichissez-vous, mais

Restez pauvres d’esprit. Laissant les fiers sommets,

Les lys, pour s’élancer, ont mieux aimé les plaines,

Et quant aux dons du ciel : « Aux pauvres les mains pleines. »

Dieu ne visite pas le riche orgueilleux, non !

Pauvre, Jésus le fut, ne voulant d’autre nom.

Mais Jésus l’est toujours, mais son cri monte encore.

Tout pauvre que la fièvre et que la soif dévore,

C’est Jésus. Tout petit qui va pieds nus, c’est Lui.

Notre ennemi sans pain, est-ce encor Jésus ? Oui.

Être pauvre, avant tout, c’est aimer la sagesse,

Et l’on peut l’être, même aux bras de la richesse ;

Être riche, avant tout, c’est n’aimer que l’argent,

Et l’on peut l’être, même en étant indigent !

Être riche d’esprit, désirer, c’est la gêne,

C’est river à son pied une bien lourde chaîne ;

Être pauvre d’esprit, c’est être libre. Eh bien !

Aimez la liberté, n’appartenez à rien,

Pas même au lit qui s’ouvre à votre échine lasse,

Pas même à votre habit : il est au temps qui passe.

 

Toute la pauvreté, disais-je en commençant,

La mauvaise richesse, elle est dans notre sang :

Elle est dans nos pourpoints, elle est dans notre code,

Et fait l’opinion, comme elle fait la mode.

Ô pauvreté, la France entende votre voix !

France riche d’esprit, beaucoup trop riche en lois !

L’esprit de pauvreté, voilà l’esprit pratique

Qui doit ensoleiller la sombre politique ;

Le roi, ton noble époux, César, un sombre amant,

Sont loin de ta pensée, ô France, en ce moment !

Le front coiffé des plis d’une laine écarlate,

La liberté te rit, la liberté te flatte :

C’est un ange éclatant qui semble un lutteur noir,

Radieux comme l’aube et beau comme le soir,

Car il porte, pareil aux séraphins de l’ombre,

Un masque étincelant sur son visage sombre.

Tu n’as pas peur ? C’est bien. Tu veux le suivre ? Allons !

Mais ne va pas saisir les ciseaux des félons,

Et du fier inconnu dont tu fus curieuse

Sinistrement rogner l’aile mystérieuse.

Ne lui mets pas de loi perfide autour du cou.

S’il n’est pas une brute, arrière le licou !

Qu’il puisse au grand soleil marcher nu dans l’arène,

Et tordre toute chose en sa main souveraine,

Et retremper toute âme en sa cuve qui bout.

Alors nous pourrons voir qui restera debout,

La sagesse divine ou la sagesse humaine,

Si c’est le nom obscur que cet ange ramène,

Ou le nom lumineux dans chaque étoffe écrit,

Et si c’est Robespierre ou si c’est Jésus-Christ !

 

 

 

Germain NOUVEAU, Poésies d’Humilis et vers inédits, 1924.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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