Le retour des champs
LE soleil, tout le jour, de la voûte des cieux,
A versé par torrents ses rayons radieux,
Sur les riches moissons qu’il féconde et qu’il dore,
Et sur l’homme des champs courbé depuis l’aurore.
Mais enfin, par degrés, dans son ardeur lassé,
Sous le calme horizon l’astre s’est abaissé,
Et laisse une clarté plus discrète et plus pure
Consoler en mourant la tranquille nature.
C’est le jour qui s’en va. Déjà, tout frémissant,
Dans les hauts peupliers qu’il caresse en passant,
Le vent du soir se joue, et déjà son haleine
D’un concert vague et doux remplit toute la plaine.
Alors le paysan dans les champs attardé
Relève enfin son front de sueur inondé.
Il voit à l’horizon sur les collines sombres
La nuit, comme un réseau, développer ses ombres,
Et les étoiles d’or s’allumer lentement
Dans le dôme obscurci du vaste firmament.
L’alouette se tait sur les sillons ; la brume
Sur les bourgs blanchissants flotte comme une écume,
On entend revenir à travers les vergers
Les grelots des troupeaux, et les chants des bergers ;
Et partout, des hauteurs, des plaines, des vallées,
Comme un concert de voix limpides et mêlées
Le chœur des Angélus, en tintements joyeux,
Des clochers des hameaux se répand dans les cieux.
C’est l’heure solennelle où la nature entière
Murmure vaguement son immense prière,
Témoin silencieux de ces calmes beautés,
Le paysan regarde et sent de tous côtés
Comme un charme passer dans son âme étonnée.
Enfin il a fini la pénible journée !
Son outil sur l’épaule en suivant les prés verts,
Par les sombres vallons, par les champs découverts,
Par les sentiers perdus rampant sous la futaie,
Par les chemins poudreux que la nature égaye
Il regagne à pas lents son modeste séjour,
Car on l’attend là-bas en guettant son retour,
Et l’amour et les soins d’une famille chère
Lui rendront le cœur fort et sa tâche légère,
Et c’est là que toujours, humble et vivant de peu,
Il trouve le bonheur sous le regard de Dieu.
Léon NOUVELLE.
Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,
publié par Charles Buet, 1889.