Souvenirs de Bretagne
J’ai quitté le pays que l’Océan termine
En grondant aux pieds du Men-hir 1,
Le pays dont la voix redit comme l’hermine :
« Plutôt mourir que me ternir. »
J’ai quitté ses hameaux, ses forêts, ses landes,
Où sont semés à chaque pas
D’historiques hauts faits et de saintes légendes,
Et je ne les oublierai pas.
Je penserai toujours à l’orageuse grève
Où chaque enfant cache un marin
Et s’essaie à dompter le flot qui se soulève
Comme on dompte un coursier sans frein.
Je penserai toujours à ses hautes églises,
À ses audacieux défis,
À ses récifs naïfs qu’au coin de l’âtre assises
Les mères content à leurs fils ;
Je penserai toujours à la mâle harmonie
Qui près des autels abattus
A du christianisme éveillé le génie
Et fait renaître ses vertus 2 ;
Je penserai toujours à la fosse sanglante
Des égorgés de Quiberon,
Matelots engloutis sans que leur main vaillante
Ait abandonné l’aviron.
Paysans et seigneurs pour la même croyance,
Les mêmes lois, les mêmes vœux,
Marchaient d’un même cœur, et de leur alliance
La même mort serra les nœuds.
On a pu les tuer !... Mais il naît une race
Qui juge à son tour les bourreaux,
Et des scènes de deuil que son burin retrace
Les vaincus seront les héros.
Pour la cause de Dieu, cette terre zélée
Fait un rempart de ses rochers,
Et, comme un étendard levé dans la mêlée
Maintient la croix sur ses clochers.
Des révolutions quand la dent dévorante
Lui mordait, lui fouillait le flanc,
Elle se défendit comme au champ-clos des Trente
Et dut s’abreuver de son sang.
Ses champions couchés dans leurs sépulcres sombres
N’ont pas disparu tout entiers,
Et ses bardes rendront la vie aux nobles ombres
Qui se dressent dans ses sentiers.
Des courtisans courbés dans l’ornière qu’ils suivent
Règlent l’éloge sur l’effroi ;
Mais ici c’est debout que des hommes écrivent
Sans flatter ni tribun ni roi.
Dans la paix elle lit sous ses tours en ruine
D’antiques fables de Merlin,
Mais au bruit du clairon revit sur sa poitrine
La cuirasse de du Guesclin.
Guerrière au bras d’acier et vierge au front d’albâtre,
Son âme prend un double essor ;
Le fer du connétable et la chanson du pâtre
Sont deux joyaux de son trésor.
On a vu tour à tour la menace et la ruse
Unir contre elle leur pouvoir
Et rencontrer toujours son épée et sa muse
Où se rencontre le devoir.
De viles passions quand les vils interprètes
De cupidité font assaut,
Les harpes des Bretons, pour le veau d’or muettes,
Célèbrent le nom du Très-Haut.
Du bonheur du foyer vigilantes gardiennes,
Leurs mélodiques leçons
Du Dieu toujours prié par les mères chrétiennes 3
Font mûrir les riches moissons.
Du bien, du mal, chez nous le duel se répète
Et se continuera demain,
Que du Breton-soldat et du Breton-poète
Dieu m’enseigne donc le chemin !
C. de NUGENT.
Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1860.
1 Les pierres druidiques de Carnac.
2 L’auteur du Génie du Christianisme a peu habité
la Bretagne, mais n’a jamais oublié qu’elle était
sa patrie.
3 On nous permettra de rappeler ici le livre
des Mères chrétiennes par M. Violeau,
auteur des Pèlerinages en Bretagne et d’autres ouvrages
dans lesquels il y a autant d’intelligence que de cœur.