La complainte de France

 

 

France, jadis on te souloit 1 nommer,

En tous pays, le tresor de noblesse,

Car un chascun povoit en toy trouver

Bonté, honneur, loyaulté, gentillesse,

Clergie, sens, courtoisie, proesse.

Tous estrangiers amoient te suir 2.

Et maintenant voy, dont j’ay desplaisance,

Qu’il te convient maint grief mal soustenir.

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Scez tu dont vient ton mal, à vray parler ?

Congnois tu point pourquoy es en tristesse ?

Conter, le vueil, pour vers toy m’acquiter,

Escoutes moy, et tu feras sagesse.

Ton grant orgueil, gloutonnie, peresse,

Convoitise, sans justice tenir,

Et luxure, dont as eu abondance,

Ont pourchacié vers Dieu de te punir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Ne te vueille pourtant desespérer,

Car Dieu est plain de merci, à largesse.

Va-t-en vers lui, sa grâce demander,

Car il t’a fait, de jà pieçà 3, promesse.

(Mais que faces ton advocat Humblesse).

Que très joyeux sera de toy guerir ;

Entierement metz en luy ta fiance,

Pour toy et tous, voulu en crois mourir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Souviengne toy comment voult ordonner

Que criasses Montjoye, par liesse,

Et, qu’en escu d’azur, deusses porter

Trois fleurs de Lis d’or et pour hardiesse

Fermer en toy, t’envoya sa Haultesse,

L’Auriflamme, qui t’a fait seigneurir

Tes ennemis ; ne metz en oubliance

Telz dons haultains, dont lui pleut t’enrichir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

En oultre plus, te voulu envoyer

Par un coulomb qui est plain de simplesse,

La unction dont dois tes Rois sacrer,

Afin qu’en eulx dignité plus en cresse.

Et, plus qu’à nul, t’a voulu sa richesse

De reliques et corps sains departir ;

Tout le monde en a la congnoissance.

Soyes certain qu’il ne te veult faillir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Court de Romme si te fait appeler

Son bras dextre, car souvent de destresse

L’as mise hors, et pour ce approuver,

Les Papes font te seoir, seul, sans presse,

À leur dextre ; se droit jamais ne cesse.

Et pour ce, dois, fort pleurer et gemir,

Quant tu desplais à Dieu qui tant t’avance

En tous estas, lequel deusses cherir

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Quelz champions souloit en toy trouver

Chrestienté ! Jà ne fault que l’expresse 4 ;

Charlemaine, Rolant et Olivier,

En sont tesmoings ; pource, je m’en delaisse

Et saint Loys Roy, qui fist la rudesse

Des Sarrasins souvent anéantir,

En son vivant, par travail et vaillance ;

Les croniques le monstrent, sans mentir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Pource, France, vueilles toy adviser,

Et tost reprens de bien vivre l’adresse ;

Tous tes meffaiz metz paine d’amander,

Faisant chanter et dire mainte messe

Pour les ames de ceulx qui ont l’aspresse

De dure mort souffert, pour te servir ;

Leurs loyautez ayes en souvenance,

Riens n’espargnié n’ont pour toy garantir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Dieu a les braz ouvers pour t’acoler,

Prest d’oublier ta vie pecheresse ;

Requier pardon, bien te vendra aidier

Nostre Dame, la trespuissant princesse,

Qui est ton cry et que tiens pour maistresse.

Les sains aussi te viendront secourir,

Desquelz les corps font en toy demourance.

Ne vueilles plus en ton pechié dormir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

Et je, Charles duc d’Orlians, rimer

Voulu ces vers, au temps de ma jeunesse,

Devant chacun les vueil bien advouer,

Car prisonnier les fis, je le confesse ;

Priant à Dieu, qu’avant qu’aye vieillesse,

Le temps de paix partout puist avenir,

Comme de cueur j’en ay la desirance,

Et que voye tous tes maulx brief finir,

Trescrestien, franc royaume de France.

 

 

 

Charles d’ORLÉANS.

 

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



1 Du latin Solere : on avait coutume.

 

2 Suivre.

 

3 Depuis longtemps.

 

4 Exprime.