Couchant sur la mer

 

 

                              I

 

Ah ! si le pinceau pouvait rendre

L’aspect de cette mer en feu !

Ce rouge ardent, ce rose tendre,

Ces flots de pourpre au reflet bleu !

 

Si la strophe aux nuances pâles

Pouvait semer sous son burin

Tous ces prismes d’ambre et d’opales,

Qui tombaient du céleste écrin,

 

Pour que sa splendeur s’éternise

Je fixerais ma vision

Sur un beau cristal de Venise,

Avec de l’or en fusion.

 

Le cadre était si grandiose

Et le tableau si saisissant

Que l’astre, en son apothéose,

Sur la lèvre arrêtait l’accent,

 

Et vers l’Auteur de la lumière

Sentant mon âme s’élancer,

Mes mains, comme pour la prière,

S’étaient jointes sans y penser.

 

 

                              II

 

Pourtant ces radieux mirages

Qu’ignore l’azur des beaux soirs,

C’était le reflet des nuages,

Tout à l’heure encore si noirs.

 

De ces tristes murailles d’ombre

Qui montaient, flottante prison,

Drapant le ciel d’un crêpe sombre,

Voilant le cœur et l’horizon.

 

Mais voici qu’à l’heure suprême

Où le soleil va nous quitter,

Le rideau se fend de lui-même

Au foyer qui vient d’éclater :

 

Voici qu’à l’ardent incendie,

Allumant ses débris fuyants,

L’opaque nuée irradie

Sur l’onde aux replis chatoyants ;

 

Voici que sa traînée en flamme

Sur le golfe entier resplendit,

Ainsi qu’une immense oriflamme

Qu’un miroir immense grandit ;

 

Et, de l’horizon jusqu’au faîte,

Confondant leurs doubles brasiers,

Ciel et mer prolongent la fête

Sous nos regards extasiés,

 

 

                             III

 

Ainsi, quand l’humaine journée

A passé morne et sans soleil,

Quand, dès l’aube, la destinée

N’eut pas même un reflet vermeil.

 

Bien souvent, à l’heure dernière,

Au tomber du soir d’ici-bas,

On voit se lever la lumière

Du jour qui ne s’éteindra pas ;

 

Et plus les larmes de ce monde

Ont obscurci l’âme et le cœur,

Plus le rayon qui les inonde

De ces ténèbres sort vainqueur.

 

On dirait qu’à travers la nue,

S’ouvrant un chemin radieux,

La Vierge en sa gloire est venue

Adoucir l’instant des adieux,

 

Et, dans l’âme encor frémissante,

Verser plus d’ardentes clartés

Que cette pourpre éblouissante

Embrasant deux immensités.

 

 

 

Baronne d’OTTENFELS.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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