Le miracle
Il quittait Béthanie et marchait vers la Ville
Le cœur déjà lourd d’agonie.
Les ronces du ravin étaient comme brûlées,
La fumée montait droit au dessus d’une hutte
Et l’air était torride, les roseaux se taisaient
Et la mer Morte était sans une ride.
Le cœur gagné d’une âcreté de mer
Il marchait. Sous ses pas des nuages montaient
Sur la route poudreuse. Il allait à la ville
Rejoindre le troupeau des disciples.
Il s’enfonçait dans sa profonde peine
Et la terre pour lui n’était qu’odeur d’absinthe
Et silence. Le Christ était seul dans la plaine
Accablée et inerte où tout s’était mêlé :
L’air tremblant, les lézards, les sources, les ruisseaux.
Un grand figuier poussait près du chemin.
Aucun fruit ne pendait entre ses feuilles sèches.
Jésus dit au figuier : « Arbre de nul profit,
Arbre sans nulle joie au branchage raidi,
« J’ai faim, j’ai soif, tu ne me donnes rien,
Arbre inclément plus qu’un granit,
Malencontreux arbre sans fruits
Jusqu’à la fin des temps stérile ! »
L’arbre frémit sous la malédiction
Comme un paratonnerre où s’enroule la foudre
Et devint cendre jusqu’aux moelles.
Or s’il s’était trouvé la moindre liberté
Dans ces feuilles, ce tronc, ces branches, ces racines,
Les lois de la nature auraient peut-être œuvré.
Mais tel est le miracle. Il est Dieu.
Il ne nous prend qu’au dépourvu,
Au cœur de notre désarroi.
Boris PASTERNAK, Le Docteur Jivago,
Dix-septième partie, Vers de Iouri Jivago, XX.
Recueilli dans Œuvres, par Boris Pasternak, La Pléiade, 2014.