Les deux enclos
À A. Vignalou.
Les enclos sont voisins ; dans l’un, chaque dimanche,
Les gars en blouse, et les filles en robe blanche
Vont, les bras enlacés, et les yeux vers l’azur,
En écoutant glisser dans l’herbe le fruit mûr ;
Et dans l’autre, à l’entour des tombes prosternées,
Les aïeules, branlant leurs têtes surannées,
S’éternisent dans leurs prières ; et leur front
Se courbe vers la place où leurs os dormiront.
Dans l’un et l’autre enclos semés de fleurs pareilles
Vogue indifféremment la chanson des abeilles,
Et les oiseaux du ciel voltigent tour à tour
Du verger de la mort au verger de l’amour ;
Mais parfois les amants, dans un frisson de crainte,
Involontairement desserrent leur étreinte,
De peur que leurs baisers n’importunent là-bas
La vieillesse et la mort qui se parlent tout bas ;
Et souvent une aïeule, en relevant la tête,
Tandis que la prière à ses lèvres s’arrête,
Épie avec des yeux vaguement attendris
Les couples cheminant sur les gazons fleuris.
Un souffle de tendresse et de mélancolie
Va des cœurs pleins de sève aux cœurs las de la vie,
Et, dans le même instant, par un retour du sort,
Fait s’assombrir l’amour et sourire la mort.
Henri PAUTHIER,
Au village, 1900.