Les filles au rosaire
Sancta mater Dei : rapide
Se dévide
Le lourd rosaire, grain par grain,
Sous leur main.
Le chœu : sans cesse recommence,
En cadence,
Sitôt le Pater achevé,
Les Ave.
Et là-haut, sous la voûte grise
De l’église,
Tiède des parfums languissants
De l’encens,
L’écho des voix monte et bourdonne,
Monotone,
Puis se perd, comme un bruit lointain
Qui s’éteint ;
Telles, dans les landes natales,
Les cigales
Vibrant parmi l’or des épis
Assoupis.
*
* *
Elles ont mis leurs jupes blanches
Des dimanches,
Et leurs bonnets neufs, tout flambants
De rubans ;
Devant l’autel brûle un beau cierge,
Et la Vierge,
Que la rose de mai fleurit,
Leur sourit ;
Mais l’amour loin de la chapelle
Les appelle ;
Le soleil leur fait aux vitraux
Des signaux.
Ô la noisette que l’on cueille
Sous la feuille,
En longeant avec les garçons
Les buissons !
Le bal au fond des granges fraîches,
Près des crèches,
Où dans l’ombre luisent les yeux
Des grands bœufs ;
L’enclos où sous les branches souples
Vont les couples,
En silence, bras enlacés,
Fronts baissés.
L’amour peu à peu rend songeuses
Les prieuses ;
Et doucement s’emplit leur cœur
De langueur ;
Leurs voix se traînent plus dolentes,
Et plus lentes,
Le rosaire s’endort parfois
Sous leurs doigts.
Henri PAUTHIER,
Au village, 1900.