Le rêve de l’aïeule
À ma grand’mère.
Les bêtes sont au pâturage ;
Les garçons, dès l’aube à l’ouvrage,
Vont fauchant l’or de la moisson :
Et dans la ferme, toute seule,
Filant sa quenouille, l’aïeule
Berce du pied le nourrisson.
Dans la grande chambre bien chaude
Où la mouche inquiète rôde
De la fenêtre à la cloison,
De fil en fil sa main chemine,
Tandis que sa lèvre rumine
Des lambeaux de sainte oraison.
Mais bientôt sous ses doigts s’embrouille
Le lin neigeux de la quenouille :
Sur elle descend le sommeil ;
Le berceau lentement s’arrête,
Et l’aïeule inclinant la tête
S’endort dans un rais de soleil.
En un doux songe qui la grise
Elle revoit près de l’église
L’enclos, où le printemps dernier,
Parmi les marguerites blanches,
Dans ses beaux habits des dimanches
On étendit le vieux fermier ;
Et dans ses visions étranges,
Il lui semble que les bons anges
La prennent au coin de son feu,
Et qu’ils l’emportent sur leur aile
Vers le cher défunt qui l’appelle
Là-haut dans le Paradis bleu.
Si le bruit du marmot qui pleure,
Ou de l’horloge sonnant l’heure,
Dans son sommeil vient à passer,
Elle ouvre à demi la paupière,
Sa lèvre reprend sa prière,
Son pied se remet à bercer.
Henri PAUTHIER,
Au village, 1900.