Fleurettes
Je n’ai point oublié vos grâces endormies,
Ô petites amies,
Ô fleurs,
Qui de parfums si doux enveloppiez vos charmes
Et mêliez à mes larmes
Vos pleurs !
J’ai le frais souvenir du courtil où vos branches
S’étalaient toutes blanches
Au mur,
Où le neige d’avril, en vos rameaux éclose,
Voilait d’un frisson rose
L’azur.
Aux jardins du passé je vous respire encore,
Fleurs d’amour, fleurs d’aurore,
Hélas !
Fleurs qui n’égarez plus mes jeunes rêveries
Sous vos ombres fleuries,
Lilas.
Je vous revois, iris, au fond de ma mémoire
Reflétés dans la moire
Des eaux,
Et sous le frôlement des vertes demoiselles
Tremblant comme des ailes
D’oiseaux.
Et vous qui sur les lacs, ô larges fleurs vermeilles,
Ô nacelles d’abeilles,
Voguez ;
Et vous là-bas, encens des solitudes saintes,
Violettes, jacinthes,
Muguets ;
Haleine des sureaux, âme des chèvrefeuilles,
Qui flottez sous les feuilles
Des bois,
À l’heure où le passant s’arrête sur la route
Et du silence écoute
La voix ;
Et vous qu’en floréal on voit par les collines,
Ô vierges aubépines,
Courir,
Et qui ne voulez pas sans parfumer la brise
Ou la main qui vous brise
Mourir ;
Et vous que l’Été fauche et par milliers supprime,
Frais bijoux de la prime
Saison,
Humbles joyaux des prés, qu’un admire et qu’un aime,
Mais qui n’avez pas même
Un nom ;
Bien qu’en mon coeur, déjà fatigué de sa course,
L’âge ait tari la source
Des chants,
Vous m’enchantez toujours, charmeuses de poètes,
Fleurs des jardins, fleurettes
Des champs !
Pourtant, voici qu’au loin l’Automne décolore
Le buis naguère encore
Si vert ;
Dans les arbres jaunis voici le vent qui pleure,
Et voici tout à l’heure
L’hiver !
Ô fleurs, ô coupes d’or où l’aube a de ses perles
Enivré tant de merles
Siffleurs,
Adieu tous vos parfums, soeurs des voix et des ailes,
Adieu toutes vos belles
Couleurs !
Ensemble nous entrons dans ce lent crépuscule,
Où sans cesse recule
L’espoir,
Où rien ne reste, au bout de la tâche accomplie,
Que la mélancolie
Du soir.
Mais avant d’exhaler votre dernière haleine
Dans la nuit encor pleine
De jour,
Vous me donnez tout bas, ô fleurs que je devine,
Une leçon divine
D’amour.
Dites-moi, dites-moi comment vos longs outrages,
Rameaux par tant d’orages
Battus,
Comment votre agonie, ô mes soeurs expirantes,
S’achève en odorantes
Vertus ?
C’est que pour vous, ô fleurs, la mort, toujours suivie
D’un retour à la vie,
N’est pas,
Et qu’éternellement la fleur à l’astre utile
Renaît par son fertile
Trépas.
L’homme aussi, l’homme aspire à la vie éternelle !
Il n’a point dit à l’aile
Adieu ;
Et du fardeau du corps cet espoir le console,
Qu’un jour l’âme s’envole
À Dieu.
Quand je ne serai plus, vous qui serez encore,
Revenez à l’aurore
En pleurs,
Revenez éveiller mes cendres endormies,
Ô petites amies,
Ô fleurs !
Et ce ne sera point pour votre vieux poète
À tout ce qu’il regrette
Mourir,
Si l’aube, après la nuit où comme vous il tombe,
Vous revoit sur sa tombe
Fleurir.
Achille PAYSANT.
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