« L’Angélus » de Millet

 

                                                        À Paul Harel.

 

 

Le soir tombe ; les champs s’endorment dans un rêve.

Là-bas, à l’horizon, flotte un vague angélus ;

Et, debout sur la glèbe où leur labeur s’achève,

Deux paysans sont en prière : rien de plus.

 

Mais le couple rustique emplit cette humble toile

D’une sérénité radieuse, tandis

Qu’à la pâle clarté de la première étoile

La terre, au loin, décroît sous les deux agrandis.

 

Ô misère sans fiel et par Dieu consolée

De toute l’injustice humaine ! Ô pauvres gens,

Comme aux lointains espoirs leur âme est envolée,

Et quel oubli du mal en ces cœurs indulgents !

 

L’homme ne doute point de la bonté divine ;

La femme est résignée à la commune loi,

Et, croisant les deux mains, dévotement s’incline

Dans la simplicité naïve de sa foi.

 

Et, tout l’été pourtant, courbés au sol aride,

L’épi boit, non pour eux, leur sueur et leur sang ;

Le sillon moissonné leur laisse au front sa ride ;

Puis sur leurs membres las l’hiver entier descend.

 

Qu’importe ? L’œuvre reste, et la douleur s’oublie !

Dès l’aube, on les entend chanter vers le ciel bleu ;

Et, chaque soir, heureux de leur tâche accomplie,

Au fond du crépuscule on les voit prier Dieu.

 

 

 

Achille PAYSANT.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1894.

 

 

 

 

 

 

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