Vieille chanson
À Eugène de Ribier.
Je ne sais plus quelle chanson
Deux passants allaient tout à l’heure,
Allaient chantant à l’unisson ;
Je ne sais plus pourquoi je pleure.
C’était, sous les rayons éteints
Du jour déjà crépusculaire,
C’était un de ces vieux refrains
Où gémit l’âme populaire.
Refrain banal ! et je pleurais ;
Et, de loin, ces deux voix sans charmes
Semblaient vibrantes de regrets,
Semblaient tout humides de larmes.
Et voilà que je pleure encor.
Ô nuit ! j’écoute ton silence :
Le bois frissonne aux sons du cor,
Et l’angélus au ciel s’élance !
Et dans les ombres de mon cœur
Je regarde poindre une aurore
Où de mille oiseaux monte en chœur
L’éveil lumineux et sonore !
Et, par les volets entr’ouverts,
Muse des heures vermeilles,
Je vois, j’entends l’essaim des vers
Bruire comme des abeilles !
Et l’amour, la foi, l’idéal,
Tout vibre en moi, tout chante et pleure,
Parce qu’un vieux refrain banal
Dans l’ombre a passé tout à l’heure !
Achille PAYSANT, Vers Dieu.
Recueilli dans Anthologie critique des poètes normands de 1900 à 1920,
poèmes choisis, introduction, notices et analyses par
Charles-Théophile FÉRET, Raymond POSTAL et divers auteurs,
Paris, Librairie Garnier Frères, 1920.