La Passion

 

 

Elle pleurait. Elle pleurait. Elle fondait.

Elle fondait en larmes.

Elle ravalait ses larmes avec sa salive.

Et en même temps elle avait la gorge sèche, brûlante

De fièvre

Le gosier sec

Brûlant

Elle avait la tête toute en eau

Et il y en avait toujours

Et il y en sortait toujours.

Et en même temps elle avait la tête sèche, lourde, brûlante

Pesante

Et les yeux lui piquaient

Et ça lui battait dans les tempes

À force d’avoir pleuré

Et d’avoir encore envie de pleurer.

 

Elle pleurait. Elle fondait. Son cœur fondait

Son corps se fondait

Elle fondait de bonté

De charité

Il n’y avait que sa tête qui ne fondait pas.

Elle marchait comme involontaire

Elle ne se reconnaissait plus elle-même.

Elle n’en voulait plus à personne

Elle fondait en bonté

En charité.

Sa douleur était trop grande

C’était une trop grande douleur.

On ne peut pas en vouloir au monde pour un malheur qui dépasse le monde.

Ce n’était plus la peine d’en vouloir au monde

D’en vouloir à personne

Elle qui autrefois aurait défendu son garçon contre toutes les bêtes féroces

Quand il était petit.

 

Aujourd’hui elle l’abandonnait à cette foule

Elle laissait aller

Elle laissait couler

Qu’est-ce qu’une femme peut faire dans une foule

Je vous le demande.

Elle ne se reconnaissait plus

Elle était bien changée.

Elle allait entendre le cri

Le cri qui ne s’éteindra dans aucune nuit d’aucun temps...

L’un le tirait, l’autre le poussait

À hue, à dia

Mais celui qui le tirait et celui qui le poussait

C’était toujours vers ce sommet du Golgotha...

 

 

 

Charles PÉGUY.

 

 

 

 

 

 

 

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