La neige

 

 

– Petite, vois tomber la neige.

Regarde ce frileux manège

Que font tous les oiseaux entre eux :

Ils se groupent et vont ensemble.

Viens donc voir comme leur vol tremble

Et comme ils ont l’air malheureux.

 

Tout les étonne et les afflige.

Ils n’ont plus une seule tige

Pour reposer leur vol qui fuit.

Durant l’hiver et la froidure,

ils n’ont plus un brin de verdure,

Ils n’ont plus d’abri pour leur nuit.

 

Viens voir la neige, ma petite.

Viens voir les oiseaux dans leur fuite,

Dans leur terreur et leur péril.

Puis élève les mains et prie

Pour qui va, loin de la Patrie,

Vivre dans la mort de l’exil !...

 

Vois : quand un vol heurte une branche,

Quel désastre ! quelle avalanche !

Quel bruit et quel écroulement !

Vois : quand la neige s’éparpille,

Elle entraîne abri, nid, famille.

Pour les fuyards, quel dénuement !

 

Ils savent que la neige tombe,

Et que la neige c’est leur tombe.

Mais savent-ils qu’ils vont souffrir ?

Savent-ils que leur petite aile,

Hélas ! si légère et si frêle,

Va geler avant de mourir ?

 

Non. Ils ignorent la souffrance :

Ils naquirent dans l’espérance,

À l’heure où la rose naissait ;

Ils ne virent, à leur naissance,

Que le Printemps en jouissance,

Que l’herbe folle qui poussait.

 

Ils ne virent, sous les ramées,

Que mines tendres et charmées,

Que mères protégeant des nids.

Ils ne virent, hors des ombrages,

Qu’azurs lointains et sans nuages

Et que profondeurs d’infinis.

 

Ils ne virent pas ce qui passe,

Lorsque, s’élançant dans l’espace

Les yeux fixés sur l’avenir,

Ils allèrent, l’aile ravie,

Vers la jeunesse et vers la vie,

Sans savoir que tout doit finir.

 

Ils ne virent sur leur passage,

Soit pour le fou, soit pour le sage,

Que richesse et splendeur des jours,

Que largesses de la nature,

Que grains semés pour leur pâture,

Que nids tout faits pour leurs amours ;

 

Que gerbes de fleurs toutes prêtes

À couronner toutes leurs fêtes,

À parfumer l’air autour d’eux.

Ils ne virent que larges routes,

Que ces routes qui montent toutes

Vers la Lumière et vers les Cieux,

 

Vers l’inconnu, vers le sublime ;

Ils ne virent pas cet abîme

Que l’homme côtoie ici-bas :

Qu’il soit l’aigle ou soit l’hirondelle,

L’oiseau franchit, avec son aile,

Ce que le pied ne franchit pas.

 

Ils ne sentirent, j’en suis sûre,

Durant leurs courses sans mesure

Au travers de l’immensité,

Dans chaque plume ou chaque fibre

De leur aile orgueilleuse et libre,

Que l’orgueil de leur liberté.

 

C’est ainsi, c’est en pleines joies,

Que l’heure arrive, en fait des proies,

Que l’hiver, avec ses brouillards,

Les enveloppe, les enlace,

Et que la neige qui les glace

En fait des morts ou des vieillards.

 

C’est la loi, ma petite. Écoute :

Nous suivons tous la même route,

Et l’homme est pareil à l’oiseau.

Il commence dans l’espérance,

Et doit finir dans la souffrance

Avant d’arriver au tombeau.

 

Petite, vois tomber la neige

Et demande à Dieu qu’il protège

Tous ceux qui vont être en danger :

Les petits oiseaux dans leur fuite,

Les malheureux qui sont sans gîte,

Dis à Dieu de les protéger.

 

Mais pendant que la neige tombe,

Pendant qu’ici-bas tout succombe,

Songe aussi que tout revivra,

Qu’un nouveau Printemps va renaître,

Et que bientôt sur ta fenêtre

Un nouvel oiseau reviendra !...

 

C’est encor la loi, ma mignonne :

Si Dieu reprend tout ce qu’il donne,

Il rend ce qu’il prend, tour à tour.

Sa puissance, vaste et profonde,

Si grande qu’elle emplit le monde,

Est moins grande que son amour !...

 

 

 

Mme A. PENQUER.

 

Paru dans Poésies de l’Académie

des muses santones en 1895.

 

 

 

 

 

 

 

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