À la cathédrale de Strasbourg

 

 

Vaste nef de Strasbourg ! géante cathédrale !

Ton souvenir me verse un long recueillement ;

Je ne saurais chanter ta flèche colossale

                  Sans un gémissement.

 

Un Français veut t’offrir, ô merveille de pierre !

Le tribut du respect et de l’étonnement ;

J’éprouve, quand vers toi s’élève ma paupière,

                  Comme un saint tremblement.

 

Ta flèche de granit, qui domine la ville,

Suspend plus d’une fois les pas du voyageur :

Il doute, en te voyant, qu’à l’homme si débile

                  Tu doives ta hauteur !

 

Il admire, pensif, du haut de ta terrasse,

Tous les grands horizons : soleil, cité, ciel pur,

Et la plaine qu’au loin le firmament enlace

                  De son cercle d’azur.

 

Ô gloire du passé !... Je ne saurais te dire

Ce qu’à tes pieds, la nuit, je ressens en songeant,

Quand la lune sur toi jette son doux sourire

                  Comme un manteau d’argent.

 

Oh ! qu’il est doux d’aller dans ton enceinte austère

Quand le doute nous gagne au coin de notre feu !

Là, secouant les fers de notre pauvre terre,

                  On croit qu’il est un Dieu !!!

 

À ton orgue vibrant, quand des vierges divines

Mêlent leurs chants d’espoir dictés par la douleur,

N’irons-nous pas unir à ces voix argentines

                  Les concerts du vainqueur ?

 

Je dépose, en partant, sur tes marches pieuses,

L’offrande du regret et celle de l’espoir,

Et, m’ancrant sur le Dieu des luttes glorieuses,

                  Je te dis : « Au revoir ! »

 

Bords du Rhin ! bords charmants ! ô déchirante épreuve !

Quand verra-t-on flotter notre drapeau chez vous ?

Seigneur, rends aux Français le grand bruit de ce fleuve

                  Qui fait tant de jaloux.

 

Lorraine ! Alsace ! espoir : Il vous reste des frères.

Pour voir tomber vos fers l’Europe fait des vœux ;

Nous irons essuyer sur nos vieilles frontières

                  Les larmes de vos yeux !

 

Église des Germains ! reine des cathédrales !

De ton portail sacré nous franchirons le seuil ;

Le front ceint de lauriers sur tes augustes dalles,

                  Nous quitterons le deuil.

 

Nos voix feront monter vers ta voûte sonore

L’hymne reconnaissant qu’on doit à l’Éternel ;

Et sa main bénira le drapeau tricolore

                  Dont se drapa Rachel,

 

Tandis que d’une voix à la note stridente

Sur la scène aux regards de Paris transporté,

Sublime en entonnant la Marseillaise ardente,

                  Elle sacra la Liberté !

 

Gloire à quatre-vingt-neuf ! ô Liberté vénère

Ce fils aîné du temps qui t’a donné le jour.

Il a semé le Droit, glane ô jeune ouvrière !

                  La Justice à ton tour.

 

Liberté ! vent des Cieux ! dans ton essor renverse

Les trônes vermoulus des rois épouvantés,

Pour que dorénavant la Paix sur son cœur berce

                  Les bourgs et les cités !

 

Vaste nef de Strasbourg ! œuvre pyramidale !

Ton souvenir me verse un long recueillement ;

Je ne saurais chanter ta flèche colossale

                  Sans un gémissement !

 

 

 

Jules PÉRILIA.

 

Recueilli dans Le XIXe siècle, poésies,

publiées par Évariste Carrance,

Librairie du Comité poétique

et de la Revue française, 1888.

 

 

 

 

 

 

 

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