Le Diable ermite
Quand un mortel honteux des erreurs de sa vie,
Rougissant des péchés qui l’avaient avili,
Quitte en pleurant la route, hélas ! longtemps suivie
Et retourne à son Dieu, vertueux mais vieilli,
Ceux qui ne veulent point imiter son exemple,
Qui prétendent mourir ainsi qu’ils ont vécu,
Disent, pour l’enchaîner à la porte du temple,
Dans les liens du mal qu’il a trop tard vaincu :
« De sa conversion il n’a point le mérite,
» Fuyant les voluptés dont il lui faut sortir,
» Le remords de son âme est un leurre hypocrite,
» Un regret du passé plutôt qu’un repentir.
» Il renonce aux plaisirs que lui défend son âge,
» Il renverse une coupe où ne reste plus rien ;
» Après l’avoir vidée il maudit son breuvage :
» Impuissant pour le mal, il feint d’aimer le bien. »
Et le monde accueillant ces mots pleins de malice
Te jette son dédain, pauvre vieillard contrit ;
De tes accusateurs il se fait le complice,
Et du nom d’imposteur, sans pitié, te flétrit.
« Quand le Diable fut vieux, il devint un ermite. »
Ce proverbe offensant te poursuit en tout lieu ;
Le plaisant te bafoue et le cagot t’évite :
Contre tes insulteurs que te reste-t-il ?... Dieu !
Dieu !... marche donc sans crainte en ta meilleure voie,
Fort de ta conscience, et sous l’œil de celui
Dont l’auguste équité jamais ne se fourvoie,
Et qui de ta conduite est le céleste appui.
Marche dans le sentier où lui-même te guide ;
Que de ton repentir le pauvre ait les profits ;
Qu’à ton déclin béni la charité préside,
Et fais un peu de bien pour le mal que tu fis.
Et Jésus, dont tu veux écouter la parole,
Enverra l’infortune errer sur ton chemin,
Auprès de sa détresse il te dira ton rôle,
Consolant par ta bouche et donnant par ta main.
Quand tu fuis les méchants, tu ne saurais leur plaire ;
De leurs haineux propos sois moins blessé que fier,
Car ils voudraient voiler, dans leur lâche colère,
Tes vertus d’aujourd’hui sous tes vices d’hier.
Ta conduite nouvelle est pour eux un reproche
Lorsqu’ils veulent en vain l’enlacer dans leurs jeux ;
Gloire à qui sait les fuir, honte à qui les approche ;
C’est marcher vers le bien que de s’éloigner d’eux.
Ils ne pardonnent point à qui fut le transfuge
Du vice dégradant qui les tient asservis,
Au sein de leur grand nombre ils trouvent un refuge
Et voudraient retenir ceux qui leur sont ravis.
Si de ta bonne foi le monde se défie,
S’il croit, te poursuivant de son doute railleur,
Que ton âme, dans l’ombre, au péché sacrifie,
Sois le même pour tous ; pour Dieu seul sois meilleur !
J. PETIT-SENN.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.