L’orphelin
Là dort dans son espoir celle dont le sourire
Cherchait encor mes yeux à l’heure où tout expire,
Ce cœur source du mien, ce sein qui m’a conçu,
Ce sein qui m’allaita de lait et de tendresses
Ces bras qui n’ont été qu’un berceau de caresses,
Ces lèvres dont j’ai tout reçu !
LAMARTINE.
L’ombre sur les tombeaux descend silencieuse,
L’automne enlève aux bois leurs dernières splendeurs ;
Je suis jeune et pourtant mon âme soucieuse
Voit ainsi se tarir sa sève et ses ardeurs.
Souvent déjà l’angoisse amère
M’enlaça, m’étreignit de ses funestes nœuds,
Un abri me restait : j’avais encore ma mère,
Près d’une mère on est heureux.
Comme un oiseau frileux cache sa jeune tête
Sous l’aile de sa mère, au nid dans la forêt ;
En son sein maternel, quand grondait la tempête,
J’allais réfugier ma crainte ou mon regret.
Elle savait calmer l’orage,
Verser un pur dictame à mes sens altérés,
Aux jours d’abattement relever mon courage
Soupirer et sourire à mes rêves dorés.
Ses conseils si profonds, lumière en Dieu puisée,
Dans les obscurs sentiers guidaient mes jeunes pas,
Je ne veux plus marcher ! Ma force est épuisée
Et mon soleil éteint ne reparaîtra pas !
Me voici seul : seul sur sa tombe !
Ici dort de mes jours la plus belle moitié ;
À ce coup fatal je succombe
Et je ne trouve plus ici-bas que pitié.
Suivant toujours la loi d’une douce habitude,
Du fauteuil au foyer je porte mon regard
Et je ne trouve plus que vide et solitude ;
Partout son souvenir, Elle, hélas ! nulle part !
Tout garde dans ces murs un silence farouche ;
Plus d’âme qui réponde à ma pauvre âme en deuil ;
Sans le baiser du soir je regagne ma couche,
Je m’endors en pleurant et je rêve... un cercueil !
Près d’elle j’ai voulu me livrer à la joie,
À l’espoir, à l’oubli de mes chagrins passés ;
L’envieuse douleur vient ressaisir sa proie,
Et glaçant mon sourire, elle dit : C’est assez !
Pour moi tout est fini, tout a perdu ses charmes,
Me faudra-t-il longtemps souffrir ?
N’aurai-je pas bientôt pleuré toutes mes larmes ?
Puisque ma mère est morte, ô Dieu ! fais-moi mourir !
..... Sens-tu tous mes baisers à travers cette pierre,
Mère ? Mes pleurs ont-ils mouillé ton froid linceul ?
Entends-tu mes sanglots, entends-tu ma prière ?
Vois-tu combien ton fils est seul ?
– Mais le vent soupira dans les arbres funèbres,
Puis une douce voix qui n’avait rien d’humain
Sortit des naissantes ténèbres,
Elle disait à l’orphelin :
« Garde-toi de troubler le bonheur d’une élue,
Déjà ton désespoir assombrit son trépas ;
Sache-le, même aux cieux une mère est émue
Quand l’enfant de son sein la rappelle ici-bas.
« Sur terre, pauvre enfant, cette mère adorée
Pratiqua les douleurs, ces vertus du mortel ;
Laisse-la s’élancer, de bonheur altérée,
Vers les pures ondes du ciel. »
... Sans qu’il le sût son âme avait ému la mienne,
Je sentais ses sanglots retentir dans mon cœur ;
En partant sa douleur me parut plus sereine
Et je priai pour lui comme eût fait une sœur.
Je murmurai tout bas encor cette prière :
Ô mon Dieu, reprends-moi les dons que tu m’as faits,
J’adorerai tes lois, mais laisse-moi ma mère,
Le plus divin de tes bienfaits !
Amélie PICARD.
Paru dans L’Austrasie en 1858.