Ode au berger
fidèle à son chien
Ce duvet sur la colline,
Cette ouate en plein été,
Ce nuage émietté
Quasi d’une main divine,
C’est le troupeau que tu mènes
Sous l’air bleu, par le sol vert
Loin des étables d’hiver
– Ombres et blancheurs germaines.
Les pâtures, les prairies
(Fleurs aux genoux du bélier !)
Pour le monde moutonnier
Tendent leurs tapisseries.
Par bruyère et marjolaine,
Nous irons au soleil beau
Contempler du pays haut
Le fleuve veinant la plaine.
C’est moi l’agneau qui s’avance,
L’étonné-des-grands-buissons,
Je bêle avec des frissons
De langue. Quelle jouvence !
Me suis-je écarté, ma plainte
Sort d’un cœur gros de regrets.
Le chien me ramène auprès
De mes parents dans la crainte.
L’ancien m’apprend comme on broute
– Quelques herbes sont poison –,
Et qu’au jour de tondaison
Ma laine tombera toute.
Vois-tu la prise docile
Que la feuille donne au vent
Et le jeu d’ombre mouvant
De l’arbre qui se profile ?
Prends la mesure orangée
Du long soleil au couchant,
Les oiseaux taisent leur chant,
Notre troupe s’est rangée.
L’épouvantail sympathise
Avec le berger debout,
Un astre observe un hibou,
Une brebis maternise.
La lune passe, angéline,
Sur notre ensommeillement ;
Parfois, l’un bouge en dormant,
Et sa clarine dreline.
Ton chien songe qu’une louve
S’apprivoise à son côté
Dans la douce obscurité.
(Vois, la candeur s’y retrouve.)
C’est l’heure dévotieuse
Où le Poète réel,
Jadis, au fond de Noël
Mit l’étoile précieuse.
La vérité fait le vœu
De donner corps à son rêve.
Demain, le jour se relève
Avec des ailes de feu.
Paris, décembre 1954.
Henri PICHETTE,
Odes à chacun,
Gallimard, 1988.