La prière

 

 

ODE

 

 

De tes coursiers lassés abandonnant les guides,

Soleil, tu vas dormir dans les gouffres humides.

Assise maintenant sur le trône des airs,

La nuit d’un crêpe noir couvre son front d’ébène,

Et, dans l’espace immense où son char se promène,

               Éclipse tes brûlants éclairs.

 

Déjà rien n’interrompt son lugubre silence ;

On n’entend plus l’oiseau qui dans l’éther s’élance ;

De l’homme infortuné sommeille la douleur ;

Et moi, dans ses transports je laisse errer mon âme

Sur ce cintre mouvant, beau d’azur et de flamme,

               Qui d’un Dieu cache la grandeur.

 

Quand la plaine des cieux devant moi se déroule,

Je sens que mes pensers soudain naissent en foule,

Et mon cœur sans témoin, s’agite en liberté.

D’un spectacle divin, contemplateur fragile,

J’attache un œil rêveur sur l’étoile mobile

               Qui jette, en fuyant, sa clarté.

 

Tableau de l’univers que mon regard admire !

Non, ce n’est pas toi seul que doit chanter ma lyre ;

C’est celui qui d’un souffle éveilla le néant ;

Suprême intelligence à qui tout est possible,

Il dit, et du chaos le monarque terrible,

               Sous son bras tombe en frémissant.

 

Être infini, seul roi que la nature entière

Adore en prosternant son front dans la poussière,

Comme elle, je t’invoque et te salue encor.

Toi, qui donnes à la mer un bassin pour son onde !

Toi, qui jadis d’un mot de ta bouche féconde,

               Embrasait l’astre aux cheveux d’or !

 

Pour toi, tel qu’un passé l’avenir se révèle ;

Le monde tout entier palpite sous ton aile ;

Et ta gloire sans fin vit et repose en soi.

Les fils du sombre abîme, à ta voix enflammée,

Pâlissent aux enfers, et la terre alarmée

               Entend ton immuable loi.

 

Ah ! que suis-je à tes yeux ? esprit grand et sublime !

Oui, c’est ton feu sacré qui m’éclaire et m’anime,

Qui, de mes ans promis aux horreurs du trépas,

Rallume à chaque instant la flamme vacillante,

Et donne chaque jour à mon âme brûlante

               Un feu qui ne s’éteindra pas.

 

Alors qu’en nos vallons descend une ombre amie,

Faible mortelle, au moins permets que je te prie.

Seigneur ! daigne écouter mes nocturnes accents ;

Incline jusqu’à moi ton oreille attentive ;

Si j’effleure un moment ma harpe fugitive,

               C’est à toi que j’offre ces chants.

 

Mon esquif a vogué sans craindre de naufrages ;

Et, sur la vaste mer où sifflent les orages,

J’imprime sans effroi mes pas audacieux.

Mais si ma lèvre boit au vase de la vie,

À ce festin trop court l’Éternel me convie,

               Et veille sur moi dans les cieux.

 

Anathème à celui qui, bravant sa puissance,

Insulte en ses décrets sa juste providence !

Sa voile se déchire au vent du désespoir.

Moi je n’ai point maudit l’instant qui m’a fait naître ;

Je n’ai vu dans la vie, où Dieu m’a fait paraître,

               Qu’un jour dont la mort est le soir.

 

C’est en vain que l’impie élève un front superbe !

Quoi ! le foudre des cieux peut-il frapper une herbe !

Non : les sombres autans ne l’aperçoivent pas.

Fils des monts orgueilleux, quand mugit la tempête,

Le chêne élève en vain son impassible tête :

               Il tombe et roule avec fracas.

 

Qui se révolterait contre le Très-Haut même,

Quand, soumise à son bras, sa volonté suprême

Peut ouvrir sous nos pas les gouffres du néant ?

Ah ! loin de moi, grand Dieu ! cette plainte hardie.

Oui, j’admire en l’aimant ta grandeur infinie ;

               Je t’offre un hommage innocent.

 

Comme l’aigle qui vit sous un ciel solitaire,

J’ai fui loin des sentiers où marche le vulgaire,

Et d’un pied dédaigneux j’en ai courbé la fleur.

Que m’importe la gloire et son bouillant délire !

Dieu fort, être incréé, c’est toi que je désire ;

               C’est toi qui peux remplir mon cœur.

 

Roi des siècles sans fin ! père de la nature !

Seul tu sais m’embraser d’une ardeur sainte et pure.

Quand jouirai-je en paix de ta divinité ?

Je ne veux rien au monde, et ma pensée avide,

Pour n’aimer que toi seul et m’entraîne et me guide

               Aux plages de l’Éternité.

 

 

Château de Chasoy.

 

 

Héloïse PILLARD,

À l’âge de quatorze ans et demi.

 

Paru dans La France littéraire en 1833.

 

 

 

 

 

 

 

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