À la mémoire du poète E. D.

 

 

Ô poète inconnu ! mon frère ! mon ami !

En ces vers nonchalants où, visible à demi,

Aux seuls initiés ton âme se révèle,

Je cherche les attraits de ta Muse nouvelle,

Et par mille côtés doucement convaincu :

Un vrai poète ! dis-je ; et que n’a-t-il vécu ? –

Mais du monde réel désertant les alarmes,

Soldat, en plein combat tu déposas tes armes,

Et sur ton monument, d’ailleurs resté debout,

L’inexorable mort t’atteignit tout-à-coup.

D’Escousse et de Moreau mélancolique frère,

Tu ne fis que passer sur notre ingrate terre ;

Pour nos poudreux sentiers tes pieds n’étaient point faits.

Ton délicat esprit, inhabile aux forfaits,

Et comme les palais fuyant l’infâme rue,

Regrettait de l’Éden la splendeur disparue.

Rêvant d’un autre azur et d’un monde meilleur,

Habitante promise au ciel supérieur,

Déjà, blanche captive à ses chaînes ravie,

Ton âme s’essayait à sa nouvelle vie :

Et l’aube du réveil enflammant l’horizon,

Tu brisas les liens de ta vaine prison,

Et vers le libre Éther, où Dieu même t’appelle,

Comme un divin oiseau tu déployas ton aile.

 

Poète bienheureux ! ô songeur fortuné !

Ah ! si sur ce vil globe à vivre condamné,

En butte aux noirs complots, en proie aux durs sévices,

À travers nos ennuis comme à travers nos vices,

Il t’eût fallu traîner, pendant de trop longs jours,

Ta muse habituée aux célestes amours ;

Qui sait si, tôt ou tard, saignant sous les insultes,

Niant des Dieux muets les inutiles cultes,

Tu n’aurais pas maudit, hélas ! et blasphémé

Le jour où tu naquis, le sein qui t’a formé ?

 

Hôte transfiguré des sphères idéales,

Tu parcours cependant les célestes dédales ;

Tu planes aujourd’hui, toi qui rampais, hier !

Tu nages dans l’azur comme dans une mer.

Au sein de l’Empyrée oubliant nos discordes,

Des divins instruments tu fais vibrer les cordes ;

Des sublimes parvis tu hantes les passants ;

Tu t’enivres de paix, d’harmonie et d’encens.

Mais eux, les cœurs épris que ta mort désespère ?

Tes tendres compagnons d’étude, ton vieux père,

L’humble femme surtout qui ne vivait qu’en toi,

Qui te disait : mon fils ! comme on dirait : mon Roi !

Et l’amante aux yeux creux, la compagne promise,

Qui, sentant que son âme à cette heure se brise,

Interroge le ciel d’un suppliant regard :

Qui les consolera de ton brusque départ ?...

Oh ! la mort a des lois cruelles. Nos familles

Sanglotent sur leurs fils, sanglotent sur leurs filles,

Et le tremblant aïeul, lui, doit d’un cœur soumis,

Porter des ans trop lourds les fardeaux ennemis.

La vie est un mandat, hélas ! Suis-je donc libre

De troubler, moi chétif, l’éternel équilibre ?

Si grand que soit le deuil, si grand que soit l’adieu,

L’homme doit obéir et se courber sous Dieu.....

Désireux cependant d’alléger, âmes veuves,

La séparation aux poignantes épreuves,

Tes amis éplorés, tes parents attendris,

Des vers que tu laissas rassemblent les débris.

Du poète mortel impérissable essence !

Parfois un vers sublime affirmant la présence

Du rhapsode inspiré qui jadis l’écrivit,

Fait au lecteur charmé, dire : Il respire ! il vit !

Ainsi de toi, poète, et ta mort n’est qu’un leurre ;

Et bien qu’interrompue, hélas ! bien avant l’heure,

L’œuvre de ton esprit, forte et charmante en soi,

Fait que du noir tombeau tu braveras la loi.....

 

 

 

F. PITTIÉ (Pitti).

 

Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

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