Il y a cent ans
Parfois, remontant le sillage
Des jours dans l’océan du temps,
Je rêve à cet humble village
De Bretagne – il y a cent ans.
C’était un coin perdu du monde...
On y vivait paisiblement
Sans se soucier qu’à la ronde
Des gens vécussent autrement.
En ce temps-là l’ancienne église
Érigeait ce même clocher,
Mais, pour gagner la marche grise
De son seuil, il fallait marcher
Parmi les tombes des ancêtres
Sur un sol tout pétri des os
Des serviteurs et de leurs maîtres
Unis dans le même repos.
Aussi quand de joie ou d’angoisse
Frissonnaient les cloches d’alors
L’église assemblait la paroisse
Avec ses vivants et ses morts...
Comme on se serrait autour d’elle !
Les cœurs étaient vibrants de foi...
Mais autant qu’à ses saints fidèle,
On était fidèle à son toit.
On mangeait le pain de ses huches
Sans se soucier de courir
Les grands chemins emplis d’embûches,
Et l’on était triste à mourir
Quand pour la route vaporeuse
Qui se perdait à l’horizon
Un fils à l’âme aventureuse
Quittait le seuil de la maison.
Ô très humble petit village
Devenu bourg, mais où jadis
On vivait loin de tout orage
Dans un rustique paradis,
Sans désirs j’aurais pu connaître,
Au lieu des fièvres de mon temps,
Un très simple bonheur, peut-être,
Dans ta paix – il y a cent ans...
Joseph-Émile POIRIER,
Le Chemin de la Mer.