Fête au moulin
Le frêne transparent se refuse au soleil
Comme un esclave veillerait
La porte entrouverte d’un palais
Un cyprès sombre fait couple avec un autre,
Et tout arbre conseille à son voisin le calme.
La voix de la cloche, seule dans l’espace
Qu’elle peuple, je ne saurais dire
Si elle est la voix d’une vieille ou d’un enfant ;
Elle garde toujours de la mélancolie
Et aujourd’hui plus que jamais on devine
Qu’elle sonne pour le passé et pour le présent.
Cependant, recueillie, la cigale
Médite au cœur de l’arbre blanc ;
La première note est une profonde blessure ;
« Introït. Loué soit le Seigneur
Qui délivre la sève en abondance ;
Loué soit-il pour la vertu
De l’arbre qui m’abrite ! »
Elle chante un motet parfait.
Jusqu’à ce jour, je l’avoue à ma honte
Je n’avais pas observé l’art de la cigale
Il est évident que rien ne l’égale au monde.
Elle y applique vraiment
Sa foi claire et sa raison
Aujourd’hui elle chante pour vous, Vierge Marie.
Quand elle semble monotone, toujours elle varie.
Son violon n’a qu’une corde
Mais son chant bien lié charme le vieux moulin
Nettement elle le calcule
Tantôt l’exalte et tantôt le module.
« Grâces Seigneur ! Grâces Seigneur !
Pour la sève de l’arbre et pour sa finesse
Béni soit votre été ! »
Au sommet du chant savamment
Elle le délie, l’allège et le tempère
Sur un ton décroissant
Puis satisfaite, elle se tait.
Silence, plein silence, besogne accomplie
Le silence la brise et la mer au-delà
Le frêne transparent se refuse au soleil
Le peuplier n’a pas assez de branches
Pour saluer la brise.
Josep-Sebastià PONS.
Recueilli dans J. S. Pons,
par Yves Rouquette,
Seghers, 1963.