Elle !!!
À Mme CLÉMENCE ROBERT.
Elle a passé ainsi que l’herbe des champs.
BOSSUET.
On ne saura jamais, hélas ! ce que je souffre,
Ce que mon cœur contient de bitume et de soufre,
Ce qu’il contient de pleurs ;
On ne saura jamais ce que contient mon âme
De deuil, de désespoir, de souffrance et de flamme,
Et de grandes douleurs !
Oh ! la première fois qu’elle m’est apparue,
C’était, je m’en souviens, au milieu d’une rue
Où j’allais seul, rêvant ;
Et je l’avais suivie et je l’avais aimée. –
Puis elle disparut ainsi qu’une fumée
Qu’emporterait le vent.
Des hommes dont le cœur est dur comme la pierre,
Des méchants, en voyant au bord de ma paupière
Des larmes de douleur,
Ont osé maintes fois sans respect pour la lyre,
Outrager cette femme, insulter mon délire,
Rire de mon malheur.
Ils m’ont dit que cet ange était une mégère,
Un être abject et vil et d’humeur passagère,
Ignorant les vertus ;
Ils m’ont dit qu’elle était une bacchante immonde,
Courtisanne effrénée et vil rebut du monde,
Prêtresse de Plutus !
Vous pourtant qu’elle aimait, vous à qui la nature
Refuse trop souvent une humble nourriture,
Vous les déshérités,
Vous tous enfin, vous tous que la misère accable,
Vous, les vrais fils de Dieu, ce grand juge implacable,
Vous, pauvres des cités,
Venez dire à ces gueux, à tous ces misérables
Au pauvre suppliant toujours inexorables,
Qu’ils sont des imposteurs ;
Et que, nains orgueilleux, dans le siècle où nous sommes,
Ils se sont fait des lois, ils se sont fait hommes
Les plus vils détracteurs.
Car pendant que chez eux ils donnaient des soirées
Où leurs femmes allaient bien richement parées,
Qu’on dansait et riait,
Elle, la sainte enfant par Dieu même bénie,
Au chevet d’un malade en proie à l’agonie,
Et veillait et priait !
Dès qu’elle apparaissait quelque part dans la foule,
Parmi ce flot vivant qui s’agite et qui roule
Toujours plus agité,
C’étaient des chants joyeux, c’étaient des cris de fêtes,
Et chacun croyait voir comme au temps des prophètes,
Grandir l’humanité.
Chacun voulait la voir, chacun voulait l’entendre,
Au pauvre, au souffreteux, dire de sa voix tendre :
« Mes frères, aimez-vous ;
« Aimez-vous, Dieu le veut, aimez-vous, Dieu l’ordonne,
« Et pardonnez afin qu’à vous-même il pardonne,
« Lui, ce grand Dieu jaloux ! »
Il me semble moi-même, hélas ! l’entendre encore
Dire au vieillard infirme et que la faim dévore :
« Je suis, je suis le jour ;
« Venez à moi, vous tous qu’on traîne sur les claies,
« Venez, vous qui souffrez, je panserai vos plaies.
« Je suis, je suis l’amour !
« Vous, pauvres orphelins dont la vie est amère,
« Venez, venez aussi, je serai votre mère,
« Vous serez mes enfants,
« Et je vous aimerai d’une amitié profonde,
« Et je vous conduirai par la main dans le monde,
« Heureux et triomphants ! »
Elle était mon amour, mon seul rêve, ma vie !
Et toujours elle était en son chemin suivie
De jeunes prétendants ;
Et chacun enviait son doux sourire d’ange,
Et sa voix qui semblait une voix de mésange,
Et ses grands yeux ardents !
Hélas ! je ne sais plus ce qu’elle est devenue,
Un moment j’aurais cru qu’elle fut revenue
Après les mauvais jours,
Il n’en fut pas ainsi. Depuis dans ma demeure,
Accablé de chagrins, et je veille et je pleure,
Mais j’espère toujours !
J.-G. PONZIO.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.