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Essai sur l'homme
Éveille-toi, mon ami, laisse les choses mesquines
À la basse ambition, et aux rois, ces âmes chagrines,
Puisque la vie ne peut davantage nous fournir
Que le temps de voir autour de nous, et puis de mourir.
Discutons librement sur les biens des hommes enfin,
Ce labyrinthe mystérieux, mais non pas sans dessein,
Un lieu où les fleurs, les herbes croissent sur les talus,
Un jardin très tentant, rempli de doux fruits défendus.
Le Ciel cache le Livre du Sort à sa créature,
Hors la page de l’état présent, de la chose sûre ;
Ce qui concerne les brutes est seul connu des anges,
Car qui pourrait supporter ces tristes scènes étranges :
L’agneau que ta fête contraint à mourir aujourd’hui,
S’il avait ta raison, ah ! pourrait-il jouer ici ?
Mais heureux jusqu’à sa mort, il mange l’herbe fleurie,
Léchant la main cruelle qui lui ôtera la vie.
Aveuglement du futur que Dieu donne en sa bonté !
Que tous puissent remplir le cercle par le Ciel tracé !
Dieu regarde chacun de nous avec un oeil égal,
Il voit un héros ou un oiseau succomber au mal.
Des atomes ou des systèmes complets dévastés,
Il voit crever les bulles d’air et les mondes ruinés.
Espère humblement ; puis vole de ton aile tremblante,
Attends la mort, ne lève sur Dieu ta main impuissante :
Du grand bonheur qui sera tien, Il te laisse ignorant,
Mais Il te donne l’espoir pour te bénir maintenant,
Et l’espoir vit éternellement dans le coeur humain.
L’homme ne se croit pas béni, mais doit l’être à
la fin.
L’âme inquiète, et qui ne peut de ce monde partir,
Reste et se réjouit dans la douce vie à venir.
En orgueil et en fierté de raison est notre erreur,
Tous quittent leur sphère, s’élançant vers l’obscur
sans peur,
Mais l’orgueil cependant est jaloux, convoite les cieux,
Les hommes voulant être anges, et les anges des dieux.
Voulant être dieux, les anges tombèrent en enfer ;
Voulant être anges, les hommes se rebellent, c’est clair,
Et celui qui veut invertir les justes Lois célestes
De l’ordre, commet contre Dieu des péchés bien funestes.
Connais-toi donc toi-même, et n’ose pas scruter ton Dieu ;
L’étude qui plaît aux humains, c’est l’homme et son milieu.
Le vice est un affreux monstre d’un si horrible aspect
Que pour le haïr on n’a qu’à le voir, il est abject :
Mais quand on le voit trop souvent, quand on connaît sa face,
On le subit, on en a pitié, et même on l’embrasse.
Or le Ciel fit que chaque être dût d’un autre dépendre,
D’un maître, d’un domestique ou d’un cher ami bien tendre,
Ordonna à chaque homme de chercher l’aide d’autrui,
Car la faiblesse d’un autre devient sa force à lui,
Des besoins, des erreurs, des passions, se joignent de pair
Pour l’intérêt commun, en rendent le lien bien plus cher,
Causant l’amour sincère et la véritable amitié,
Et les joies du foyer dont chacun a hérité ;
Pourtant ici-bas nous apprenons, à notre déclin,
Que des intérêts, même de l’amour ou voit la fin.
La raison nous apprend aussi bien que la décadence
À aimer la mort, et à mourir avec confiance.
Qu’importe la passion, le savoir, le renom ou l’or,
Nul avec son voisin ne changera son doux trésor ;
Le savant aime à explorer la Nature si sage,
L’imbécile est heureux, sans avoir le même avantage.
Le riche est bien heureux de la fortune qu’il possède,
Le pauvre est content de l’appui du Ciel et de son aide.
Voyez : le mendiant aveugle danse et le boiteux chante,
L’ivrogne d’être un héros, le fou d’être un roi se
vante,
L’alchimiste affamé de ses rêves dorés s’amuse,
Au comble de ses voeux, le barde est béni dans sa Muse.
Voyez : par la loi de la Nature l’enfant qui bâille,
Charmé par une crécelle ou bien par un brin de paille.
Des jouets plus chers à la jeunesse donnent l’extase,
Plus bruyants, mais aussi vides que ceux dont il se blase.
Les honneurs, les croix plaisent à l’âge mûr de sagesse,
Un chapelet est parfois le jouet de la vieillesse.
Content de ces vains hochets, comme de ceux qu’il oublie,
L’homme s’endort bien las, et quitte cette dure vie.
La voix de la douce Nature ainsi parla à l’homme :
« Va donc prendre des leçons des créatures,
en somme ;
Apprends des oiseaux quels aliments nous donnent les bois,
Des animaux, les plantes qui les guérissent parfois,
Apprends donc comment les abeilles savantes bâtissent,
Comment les taupes défrichent, et comment les vers tissent.
Apprends donc du charmant nautile à naviguer la mer,
À user des rames, de l’oiseau à voler dans l’air.
Ici on trouve toutes les formes d’union solide,
Et ici la raison instruit l’homme par trop avide.
Regarde là des ouvrages souterrains, des cités,
Ici des villes au sommet des arbres élevés ;
Des insectes apprends le génie et la politique,
Des abeilles la royauté, des fourmis la république ;
Car les fourmis mettent en commun toutes leurs richesses,
Et connaissent le droit sans confusion et sans faiblesses ;
Et les abeilles, quoique gouvernées par leur reine,
Travaillent dans un charmant accord et vivent sans haine.
Quant aux formes de gouvernement, que tout fou conteste,
Le mieux organisé est bien meilleur, et je l’atteste.
Pour les genres de foi pour lesquels tout bon dévot lutte,
Celui-là n’a pas tort dont la vie tout tort rebute.
Apprends donc que tout le bien que les hommes ont trouvé,
Ou que la Nature et Dieu donnent à l’humanité,
L’entière joie de la raison et la jouissance,
Se résument en trois mots : santé, paix et confiance.
Mais la santé ne se voit jamais sans la tempérance,
Et la paix, ô vertu, est ta bien grande récompense ;
Des juges et des sénats se sont vendus pour de l’or,
L’estime et l’amour n’ont jamais été vendus encor ;
Un chef n’est qu’une verge, un bel-esprit est une plume,
L’honnête homme est la plus belle oeuvre du divin volume,
Si tu cherches le talent, pense à Bacon, si brillant,
Le plus sage et le pire des hommes, mais le plus grand.
Ô bonheur ! fin et but de notre être, suprême
don !
Bien, plaisir, ou fortune, ou quel que soit ton heureux nom,
Doux quelque chose, qui cause en nous l’éternel soupir,
Pour lequel l’on subit la vie ou l’on ose mourir,
Qui, toujours près, pourtant restes loin de tous nos ménages,
Négligé, vu en double par les fous et par les sages,
Ô plante céleste, si tu tombes en quelque cour,
Dis-nous en quel sol mortel tu fais ton heureux séjour.
À l’autel nuptial te voit-on, d’une façon charmante,
Ou parmi les diamants dans une mine abondante ?
Ceint par les feuilles que donnent les lauriers du Parnasse,
Ou gagné par l’épée dans le combat, par l’audace,
Où crois-tu, où ne crois-tu pas ? Si le travail est
vain,
Il faut en blâmer la culture, et non pas le terrain.
Le bonheur sincère n’est dans aucun endroit fixé,
Car nulle part, ni partout, il ne peut être trouvé,
Il ne peut être acheté, mais il est bien libre en soi,
Et quitte les rois, cher ami, pour venir avec toi,
Demande sa route aux savants : ils sont aveugles, vains,
L’un dit de servir, et l’autre d’éviter les humains ;
Certains hommes trouvent leur vrai bonheur en agissant,
D’autres, prenant leurs aises, l’appellent contentement,
Et quelques-uns trouvent que la joie devient la peine,
D’autres, fiers, confessent que la vertu est chose vaine,
Ou indolents, ils tombent à chaque extrême partout,
Ou ils se fient à tout, ou bien ils doutent de tout.
Le bonheur ne peut être expliqué, même aux vertueux,
Mais il est en ceci que c’est le meilleur don des cieux.»
Ô ami, que tout bonheur domestique soit le tien,
Qu’aucun abattement trop attristant ne soit le mien,
Moi qui depuis longtemps, m’occupe du bonheur touchant
D’égayer le chevet du vieil âge s’affaiblissant,
Le souffle d’une mère par des soins de prolonger,
De chasser la langueur, et le lit de mort de calmer,
D’explorer la pensée, de comprendre l’oeil plaidant,
Et des cieux pendant quelque temps de garder un parent.
Si par des soins semblables la vie peut s’allonger,
Puisse le Ciel me garder un ami pour me pleurer !
Alexander POPE.
Traduit par sir Tollemache Sinclair.
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