Et j’appris ce que c’est
que de souffrir
Et j’appris ce que c’est que de souffrir : on creuse
Un terrain qui, d’abord, semble étroit, quelque arpent
À peine, d’herbe rare et de glèbe pierreuse.
Mais, à mesure que, tâtonnant et rampant,
Vers le bas, du côté des ténèbres, l’on plonge,
Le champ de la tristesse à l’infini s’allonge.
Souffrir, c’est lentement perdre les yeux du corps,
C’est, bientôt, ne plus voir les choses du dehors
Et le ciel qu’à travers un déluge de cendre,
C’est au-dedans de soi, chaque jour plus avant,
Jusqu’où meurt le grand bruit de la cité, descendre,
Et là, comme un mineur scrute l’ombre, en levant
Au-dessus de son front sa lampe qui vacille,
C’est marcher dans la nuit, sans autre feu qui brille
Que la lueur de sa conscience. L’instinct
Qui vous guidait, parfois un souffle obscur l’éteint :
On s’égare, on se heurte, un soir, contre une idée,
Et, lorsque de fatigue on s’endort, obsédée,
L’âme qui rêve tourne et revient sur ses pas,
Tâte le mur, voudrait s’enfuir et ne peut pas...
Mais cependant qu’au fond de l’œil en pleurs s’efface
L’image des décors qui l’ont charmé, souffrir,
C’est aussi dans son cœur, par degrés, découvrir
Tout un monde nouveau, c’est, lorsque à la surface
Les prés sont verts, l’azur serein, l’homme rieur,
Distinguer au-dessous, d’une étrange prunelle,
Le feu, le sombre feu qui couve, intérieur,
La Douleur primitive, actuelle, – éternelle.
François PORCHÉ, Au loin, peut-être :
Paroles de la trentième année.