Encore sur une absente
I
Hélas ! est-ce possible ? Elle, l’enfant ravie,
Hier encor beauté, rayon, grâce, fraîcheur,
La jeune épouse au front resplendissant de vie,
Elle, force et blancheur !
Elle est néant, poussière ; elle est morte, fauchée !
Dans un étroit cercueil qui lui heurte les bras,
Dans une boîte longue, immobile et couchée,
Elle habite là-bas !
Dans la ville peuplée aux murs pleins de ténèbres,
Dans un cachot profond aux glacés suintements,
Ayant à ses côtés d’autres cercueils funèbres,
Sur un lit d’ossements !
Ce n’est plus qu’un cadavre à cette heure où nous sommes,
La nature a commis ce meurtre, ce forfait ;
Ce que n’aurait pas fait le plus cruel des hommes,
Mon Dieu, vous l’avez fait !
Vous avez pris au toit maintenant solitaire
L’épouse, saint conseil, la mère, appui de tous ;
Vous avez pris une âme utile sur la terre,
Inutile dessous !
Vous avez à son nid arraché la colombe,
Enlevé sans pitié la brebis au bercail...
Blasphèmes !... D’un Éden qui nous dit que la tombe
N’est pas le bleu portail !
Qui nous dit que le corps n’est pas la chrysalide
D’où notre âme jaillit, papillon éternel ?
La vie est le bouton d’une rose splendide
Qui ne s’ouvre qu’au ciel !
Ô femme que la mort garde en son noir repaire !
Toi que la tombe a prise et ne rendra jamais,
Souris-tu pour charmer le Seigneur, notre père,
Comme tu nous charmais ?
Horreur ! si ta dépouille avait son agonie,
Si pour s’annihiler ton impassible corps
Souffrait le froid, la faim, la fièvre et l’insomnie,
Et mourait mille morts !
Toi seule, tu le sais le mot du grand problème !
Devant ton cercueil sourd nous crions, nous pleurons ;
Haine et doute, voilà ce que ta cendre sème
Dans nos cœurs, sous nos fronts !
Taisons-nous : elle est là, dans l’herbe, sous la pierre !
Pour nous entendre, elle est ou trop haut ou trop bas ;
Nos mille pleurs tombant sur sa froide paupière
Ne la rouvriront pas !
Le Ciel nous a frappés, sa volonté soit faite !
à quoi bon profaner ce qui n’est pas compris ?
– L’Éternel a donné, disait le roi-prophète,
L’Éternel a repris !
II
Oh ! pourtant quel que soit le divin diadème
Dont ce pudique front puisse être revêtu !
Quelle que soit l’extase ineffable et suprême
Offerte à sa vertu !
Si paisible que soit notre tombe profonde,
Si douce que soit l’heure où finissent nos maux,
Si le Seigneur clément à l’ange moribonde
Avait dit ces seuls mots :
« Vois mon palais d’azur, c’est la joie immortelle !
Laisse là tes enfants, laisse là ton époux !
Tu souffres, viens ! choisis de la terre cruelle,
Ou de mon ciel si doux !
Rester, c’est la douleur, c’est le martyre austère !
Viens, enfant, ou tes pleurs couleront sans tarir ! »
– Elle aurait répondu : « Je reste sur la terre,
Je reste et veux souffrir ! »
III
C’est fini. – Dors en paix dans la couche funeste.
Hélas ! le plus frappé par le sort rigoureux
N’est pas celui qui part, mais bien celui qui reste !
C’est l’époux malheureux !
L’amant désespéré qui perd tout ce qu’il aime,
Qui demeure debout à côté du cercueil ;
Le pauvre cœur brisé qui doute et qui blasphème,
Cloué sur un écueil !
L’âme que le malheur rend stupide et haineuse,
C’est l’homme impatient de son dernier sommeil,
Épi morne attendant la sombre moissonneuse,
Dans le champ sans soleil !
Le père ayant au flanc sa mortelle blessure,
Qui près de ses enfants, grand devoir qui soutient,
Survit, vase funèbre atteint d’une fêlure,
Mais qu’un cercle retient !
IV
Oh ! tandis qu’ils sont là, fronts jeunes, têtes blanches
Vieux père aux pas tremblants, mère aux doux yeux voilés,
Épouse, frère, sœur, blonds enfants, âmes franches !
Aimons-les, aimons-les !
Oh ! soyons bons pour eux ! Qui sait ? proche est leur terme !
Faisons riants leurs jours et sereines leurs morts !
Qui peut dire combien un cercueil qui se ferme
Ouvre de noirs remords !
Aimons-les ! Dieu ravit sans pitié les colombes !
Songeons qu’ils marchent vite et qu’ils sont attendus !
Les baisers qu’on prodigue au marbre de leurs tombes
Sont, des baisers perdus !
Marchons près d’eux : la route est sitôt solitaire !
Nous aimons pour une heure, aimons d’amour profond !
Ceux qu’on embrasse, hélas ! ont toujours de la terre
De sépulcre à leur front !
Georges de PORTO-RICHE, Tout n’est pas rose, 1877.