Nocturne

 

 

J’ai porté dans les champs mon cœur triste et mystique.

J’ai fui le piano, l’amour, la politique ;

Et la nuit au hasard j’erre silencieux.

Les fleurs ont des parfums, le ciel est radieux ;

Sous la veilleuse d’or qui brille et se consume,

Les monts enveloppés de leur manteau de brume,

Posés sur les prés verts comme sur un tapis,

Dans leur chambre d’azur sommeillent accroupis ;

Papillon de l’éther, l’étincelant bolide

Va d’une étoile à l’autre et s’envole rapide ;

Tout se tait dans l’espace et la création,

Et la douce Phœbé regarde Endymion.

Fiévreux, pressé, sans but, je vais, avec ivresse ;

Quelquefois seulement dans l’ombre enchanteresse,

Un bruit imperceptible, étrange, sourd, charmant,

Et qui semble venir du profond firmament,

Arrive à mon oreille et fait que je m’arrête,

Comme si j’entendais au-dessus de ma tête

Le pas mystérieux du semeur éternel

Qui jette ses grains d’or dans les plaines du ciel ;

Ou comme si, dans l’air, dans les clartés paisibles,

J’avais surpris le vol des âmes invisibles,

Qui vers les nouveau-nés glissent, selon leur sort,

Et passent, descendant sur la terre qui dort !

 

Oh ! j’ai de ces désirs qu’on a dans le jeune âge,

Et je voudrais là-haut entreprendre un voyage ;

Me promener un peu dans le chemin lacté ;

Prendre au vol en ma main, lorsqu’il siffle emporté,

L’aérolithe en feu qui sillonne le monde

Comme une pierre d’or qui jaillit d’une fronde ;

Voir Vénus pâle et belle et qui sourit toujours,

Bien placide vraiment pour l’astre des amours ;

Sirius qui scintille au loin comme une braise ;

Saturne, ce Scapin qui tourne avec sa fraise ;

Et tous ces univers si rêveurs, si frileux,

De l’éther flamboyant poëtes nébuleux !

Je voudrais dire un mot au Soleil, à la Lune ;

Ravir un peu de neige aux glaciers de Neptune ;

Donner avec amour le baiser fraternel

Aux doux morts exilés dans une île du ciel ;

Dompter une comète et, grimpé sur sa queue,

Dans l’océan d’azur, sur la surface bleue,

Côtoyant Jupiter, Uranus, Orion,

Une lyre à la main, voguer comme Arion ;

Ou monté sur le char brillant de la Grande Ourse,

Faire au delà des cieux une lointaine course,

Voir l’effet que produit, d’en haut, la terre, en bas ;

Et causer avec Dieu que je ne connais pas !...

 

 

 

Georges de PORTO-RICHE, Tout n’est pas rose, 1877.

 

 

 

 

 

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