Sur une Vierge aux yeux clos
C’est la Vierge aux yeux clos, Notre Dame
Qui clôt ses paupières doucement
D’un simple et très chaste mouvement
Ramenant à soi toute son âme.
Et dans la volontaire prison
De ses calmes paupières baissées
Elle couve ses chères pensées
Et scrute un virginal horizon.
Honte à l’œil de l’homme qui regarde...
L’œil qui suit les fantômes divers
S’unit au méprisable univers
Et s’avilit sitôt qu’il s’attarde.
Mais ce qui nous fait les yeux ardents
Est vide et léger comme la plume.
Les yeux, un seul trésor les allume,
Le trésor qui repose au dedans.
Dans la maison de la femme forte,
Veillez, douces lampes de la nuit,
Lueur laborieuse qui luit
À travers les fentes de la porte.
Jalousement sur votre trésor
Veillez dans la maison solitaire
Veilleuses saintes du sanctuaire,
Comme une étreinte avare sur l’or.
Et pour qu’au dehors rien ne réponde
Elle étend sur son front la fierté,
Rempart de sa craintive beauté
Au pied duquel se brise le monde.
Ô crainte de plaire ! ô la froideur
De cette Vierge à l’âme sévère !
Pourrez-vous le cacher le mystère
De l’amour qui bondit dans son cœur ?
Par ce repos des paupières saintes
Calmez le trouble des vains plaisirs,
Vierge forte, arrêtez nos désirs
Vers l’inanité des beautés feintes !
Par l’ombre de ces yeux abaissés
Cachez les faux biens qui n’ont pas d’être,
Vierge sage, faites-nous connaître
L’erreur de nos regards insensés !
Faites que de sa main qui délivre
Une mort libre fermant nos yeux
Les ouvre à la lumière des cieux,
Car vous savez qu’être mort, c’est vivre !
Vous dont le vainqueur regard fermé
Dans la clarté de la nuit mystique
Contemple comme Il vient, votre Unique,
Comme Il vient vers Vous, le Bien-Aimé.
Victor POUCEL.
Paru dans la revue Marie
en mars-avril 1956.